Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon tout premier souvenir, c’est le spectacle jeune public Monsieur Le Vent. J’ai trois ou quatre ans. Deux comédiennes viennent jouer dans la cour de l’école. Dans mon souvenir, il y a de méchants dindons-marionnettes et de gros nuages ronds qu’elles font rouler pour dégager le chemin d’une petite fille qui s’en va découvrir le monde. Je dois encore avoir le livre quelque part…
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
Je me revois à mon bureau, dans mon petit appartement d’étudiant à Toulouse, en train de feuilleter les fascicules de présentation des écoles d’ingénieurs en agronomie. J’ai compris que rien de ce qui y était proposé ne pourrait me rendre heureux. Je suis allé au Crous, j’ai récupéré toute la documentation sur les écoles de théâtre à Paris. La décision était prise. Quelque chose me poussait dans cette direction, alors que je n’y connaissais rien. Mais au moins, le cœur battait fort.
Pourquoi ce métier ?
Un besoin profond de réinventer la vie, de raconter des histoires. Mon imaginaire a toujours été mon échappatoire, mais aujourd’hui je le considère comme un ancrage, un lien fort avec le réel. Il m’aide à grandir plus sereinement.
Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé. Une anecdote marquante ?
Mon tout premier spectacle professionnel était un montage de témoignages d’enfants juifs cachés pendant la Shoah, tiré du recueil Paroles d’étoiles. C’était la première fois que je travaillais sur du réel. Plonger dans la France occupée, vue par les yeux d’enfants, c’était déjà terrible. Mais en plus, nous avons joué la première devant les véritables témoins, âgés de plus de 90 ans pour la plupart.
Pour la première fois, la frontière entre réel et fiction s’est brouillée, et l’expérience du moment présent m’a frappé de plein fouet. Jamais je n’avais ressenti aussi intensément le lien sacré qui unit artistes et spectateurs. J’ai compris pourquoi on parle de spectacle vivant. Nous avons tous été bouleversés par cette bouffée de présent qui nous a saisis ce jour-là.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Les Éphémères d’Ariane Mnouchkine. C’était la première fois que j’assistais à un spectacle aussi long — environ sept heures. J’ai passé la journée à la Cartoucherie. L’amie qui m’accompagnait m’a planté au premier entracte. Ce fut un moment de poésie et d’émotion intenses, dans ce lieu magique qu’est le Théâtre du Soleil. J’ai été absorbé dans une bulle où rien d’autre n’existait que ces fragments de vie défilant devant mes yeux.
Les rencontres
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Tous m’ont marqué à leur manière. C’est même un critère de sélection : j’aime apprendre de mes camarades. Sur Les Parallèles, les comédien·nes Marie-Pierre Nouveau et Benjamin Wangermée ne cessent de m’étonner. Sur la scène de la Scala, ils sont à la fois de plus en plus libres et de plus en plus précis. Les personnages gagnent en densité, entre comédie et sensibilité. J’ai beau les avoir vus 70 fois, je suis toujours autant émerveillé par leur travail.
J’ai aussi la chance d’avoir rencontré Pasqua Pancrazi, qui signe les créations sonores de mes spectacles. Il comprend le rythme des personnages et des situations, et s’adapte au style de mes créations.
Je chéris les créateurs visuels : scénographes, éclairagistes, costumières… Lucie Joliot, Cecilia Delestre, Alice Delorenzi, Claire Risterucci, Jean-Frédéric Beal développent des trésors d’inventivité pour matérialiser mon imaginaire sur scène, créer la magie du théâtre… et faire tout ça avec des budgets de plus en plus serrés.
Sources d’inspiration
Où puisez-vous votre énergie créative ?
La nature est ma principale source d’inspiration. Je viens de Corse. J’ai grandi avec la mer, la montagne, le maquis. Je suis toujours bouleversé par le reflet de la lune sur la mer, ou par un nuage qui s’accroche désespérément à une montagne.
Et puis il y a l’humain : inépuisable source d’étonnement, capable du meilleur comme du pire. Il y a la poésie de Paul Éluard et il y a la Shoah.
En réalité, j’essaie simplement de comprendre ce qui me touche. Dès qu’une émotion me réveille, j’essaie d’en prendre note et de cristalliser ce moment. Toutes ces émotions sont des moteurs. Je fais feu de tout bois : joie, peine, frustration, colère, rire…
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Voilà une question à laquelle je résiste…
Il n’y a pas mon métier et moi. Il y a juste moi. Quant à l’équilibre ? À croire que je ne fais pas partie de ceux que le déséquilibre dérange.
L’art et le corps
Que représente la scène pour vous ?
C’est l’endroit de la vérité. Un espace de jeu et de recherche où tu ne peux rien cacher. Tout peut y être sublimé. Et tout ce que tu triches n’apporte que frustration et ennui. J’aime les mises en scène épurées. Sur Les Parallèles, la scène est quasiment vide. Le focus est sur les acteurs, sur l’évolution de leur comportement, de leur relation.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Ça vibre partout, ce truc-là. En tant qu’auteur et metteur en scène, ça commence devant la page blanche. Je me lève, je parle fort, je fais le tour de mon bureau. Soudain, j’ai besoin de faire la vaisselle — et hop ! la bonne réplique surgit. Je la prononce à voix haute. L’espace d’un instant, je suis acteur. D’autres répliques suivent. Et puis, parfois, une phrase m’émeut aux larmes ou me fait hurler de rire. La plupart du temps, ce sont de bonnes scènes. Parfois, c’est abominable — poubelle.
Sur le plateau, avec les comédiens, c’est intense. On répète, encore et encore. Je réécris les répliques pour eux, car ce qu’ils offrent est précieux. Quand ils sont bons, je me sens fier d’eux, de nous. C’est une immense joie.
Rêves et projets
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
En ce moment, je rêve d’artistes drôles, sensibles, humbles : Alexandra Lamy, Joséphine de Meaux, Grégory Montel, Géraldine Martineau, ou encore Jeanne Arènes, dont je suis un grand admirateur. Je la redécouvre dans Le Procès d’une vie, de Barbara Lambalais et Karina Testa, et toute la distribution est merveilleuse (Maud Forget, Déborah Grall, Julien Urrutia…).
Pendant le festival, je rencontre aussi Mehdi Djaadi, qui joue Couleur Framboise juste avant nous à la Scala, ou encore Malone Ettori, un jeune comédien corse qui joue 20 Novembre de Lars Norén à l’Atelier 44 — une bombe d’énergie à fleur de peau, qui ne triche pas.
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
J’adorerais adapter De grandes espérances de Charles Dickens. Ce serait une aventure joyeuse et terrifiante, entre les rêves d’enfance et les désillusions du monde adulte. Une œuvre romanesque avec des dizaines d’acteurs… J’ai une tendresse particulière pour Miss Havisham, abandonnée le jour de son mariage, qui ne s’en est jamais remise. Elle est restée dans sa robe de mariée durant des années, jusqu’à se transformer en fantôme terrifiant. Elle a sacrifié sa vie, et celle de sa fille adoptive, à cause d’un chagrin d’amour. Quelle erreur monstrueuse !
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Transfiguration d’Olivier de Sagazan, que j’ai découvert à la Manufacture. Un employé de bureau, malade et épuisé, se soumet à la brutalité des éléments — l’eau, la terre, le feu, le vent. Mille visages, mille corps, mille émotions. Beaucoup de souffrance, mais une renaissance constante. Une œuvre dont il s’est imprégné jusqu’à l’os. J’en suis sorti bouleversé.
Les Parallèles d’Alexandre Oppecini
La Scala-Provence – Festival Off Avignon
du 5 au 26 juillet 2025 – Relâche les lundis 7, 14 et 21 juillet 2025
à 21h05
durée 1h10
mise en scène d’Alexandre Oppecini
Avec Marie Pierre Nouveau et Benjamin Wangermée
Lumières de Jean-Frédéric Béal
Scénographie de Cécilia Delestre
Stylisme de Claire Risterucci
Musique de Pasqua Pancrazi
Texte édité à l’Avant-Scène Théâtre