Dans la pénombre, seules émergent les couleurs vives des costumes. Le plateau brut attend que s’y déploie la rage des interprètes. Comme des soldates, elles se dressent, chacune dans son uniforme. Leurs noms sont annoncés d’emblée, sans détours. Face au public, « six femmes, six histoires, six tigresses », dont la scénographe-plasticienne Elizabeth Saint-Jalmes mutique, mais essentielle au bon déroulement de la représentation.
Un théâtre de combat
Tout part d’un fait fictif : une agression sexuelle subie par une jeune actrice par un metteur en scène. De là, les comédiennes lancent une offensive directe contre l’impunité des auteurs de ces actes. Face à l’inertie d’un ministère qui croit encore aux vertus des fascicules, elles reprennent en main le combat féministe. Dans un moment d’une sincérité bouleversante, Marie Coquille-Chambel revient sur les violences qu’elle a subies.
Dans une séquence marquante, Séphora Haymann, somptueuse dans une robe disproportionnée, imagine un face-à-face avec Gérald Darmanin, actuel ministre de la Justice. Ici, pas de langue de bois. Les mots sont crus, assumés. Nadège Cathelineau enchaîne avec un rap percutant dont la punchline claque comme un verdict : « On balance les porcs, vous les engraissez. »
Une sororité lucide
La force du collectif repose sur ses liens, sur l’intelligence de son réseau. Grâce à l’écriture vive et précise de Julie Ménard, le spectateur entre dans l’intimité de leurs échanges. « Tu likes ? Tu écris ? Tu mets un émoji tête de mort ? » Peu à peu, un dilemme se dessine. Comment soutenir une victime sans se mettre en danger ? Est-ce qu’un post Instagram suffit ?
Certaines veulent manifester, d’autres redoutent de perdre leur travail. Difficile de trancher. Conseiller de porter plainte semble logique, mais face à des chiffres accablants — 80 % des plaintes classées sans suite, moins de 1 % débouchant sur une condamnation —, l’hésitation se comprend.
L’ironie comme arme
Loin des discours plombants, les comédiennes manient l’humour pour retourner les stigmates. Elles s’attaquent à ces diagnostics psychiatriques qui, comme autrefois l’hystérie, continuent de décrédibiliser les femmes jugées trop émotives. Louise Brzezowska-Dudek démonte avec finesse les dérives d’expertises qui disqualifient la parole des victimes. Elle se moque du fantasme de la « bonne victime » — celle qui souffre, mais pas trop.
À plusieurs reprises, Nadège Cathelineau endosse le rôle de l’agresseur. Elle en fait un personnage odieux et terriblement drôle. On rit, mais une gêne persiste. Quelque chose serre la gorge. Les Histrioniques frappent où ça fait mal, au cœur, à l’inconscient collectif, sans jamais sombrer dans la plainte. La colère est légitime, leur cri aussi !
Les Histrioniques, un trou dans la raquette du Collectif #MeTooThéâtre
11.Avignon – Festival Off Avignon
du 5 au 24 juillet 2025 – relâches les 11 et 18 juillet 2025
à 20h20
durée 1h35
Une création de et avec Louise Brzezowska-Dudek, Nadège Cathelineau, Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann, Julie Ménard et Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices lumières – Juliette Besançon et Pauline Guyonnet
Scénographe et plasticienne – Elizabeth Saint-Jalmes
Créatrices sonores – Elisa Monteil et Jehanne Cretin-Maitenaz
Musique de live Neige (morceau Misocriminalité)
Régie générale Marion Koechlin
Régie lumière H- élène Le François