Suite à la mort de sa mère atteinte depuis dix ans de la maladie d’Alzheimer, Benoît Giros a commandé à Denis Lachaud ce Voyage d’hiver. Cela fait suite à deux autres belles collaborations, La Magie lente et Jubiler. Partant d’interviews, de rencontres et de l’expérience personnelle de Benoît Giros, l’auteur signe une bouleversante fiction. L’amour et la tendresse sont les deux piliers de cette histoire qui touche parce que son sujet, l’accompagnement d’un parent dans ses derniers jours, est universel.
Un voyage collectif
Jacques est assis, le regard dans le vide. Le temps semble suspendu. Simone arrive et lui apprend que le fromager est atteint d’un cancer. Cela ne le touche pas plus que cela, il ne voit même pas qui est le fromager. Aux réponses faites à sa femme, on comprend alors que doucement son cerveau se remplit de trous. Elle sait ce qu’il faut faire, quoi lui dire pour stimuler sa mémoire. Les ravages de la maladie obligent Simone à placer son époux en maison. Avec son fils et sa fille, chacun à leur manière, ils vont l’accompagner dans ce voyage d’hiver.
Au fil de l’œuvre de Schubert
La force de l’écriture de Denis Lachaud est d’échapper à tout pathos. Se refusant à souligner les sentiments et les choses du quotidien, il crée une cérémonie théâtrale d’une grande beauté. La mise en scène à l’épure de Benoît Giros accompagne admirablement ces instants de vie qui montrent le parcours du deuil. Il en est de même pour l’interprétation sensible, sans artifice, qui fait sonner ces mots et réflexions dans ce qu’ils ont de plus juste.
Dans une belle harmonie
Benoît Giros est bouleversant en homme subissant sans trop le comprendre sa déchéance mentale puis physique. Muriel Gaudin est la vaillante, résiliente et douce Simone mais également Maïa, la fille. Celle qui se rend compte que finalement leur père ne leur a jamais raconté son passé. Ce vieux trou de mémoire l’encombre. La comédienne impressionne par la subtilité de son jeu. Mickaël Chirinian (La disparition de Josef Mengele) est magnifique en fils qui va attaquer une puissante remontée sur le chemin de sa vie. Il va accepter les « délires » de son père pour faire union. C’est sa sœur qui lui donnera la clef de sa résilience avec cette phrase sublime : « Il faut du temps pour que l’enfant en toi apprenne la mort du géant… ».
Un miroir éclatant
Et puis une voix va surgir de la salle. Un homme âgé, en l’occurrence le père de Benoît Giros, raconte comment pendant des années il a accompagné lui aussi sa femme atteinte d’Alzheimer. Depuis le public, sa voix est aussi la nôtre. L’accompagnement de nos proches à l’ultime destination, quelles qu’en soient les raisons, nous concerne tous. Et telles les feuilles mortes, les souvenirs des émotions éprouvées se ramassent à la pelle. C’est beau.
Le voyage d’hiver de Denis Lachaud (Esse Que Éditions)
Artéphile – Festival Off Avignon
Du 5 au 26 juillet 2025 à 20h35, relâche dimanche
Durée 1h25.
Mise en scène Benoît Giros
Avec Mikaël Chirinian, Muriel Gaudin, Benoît Giros, Philippe Giros.
Lumières Natacha Raber
Création sonore Minouche Briot
Scénographie Sarah Leterrier, Éric Schoenzetter et Benoît Giros
Régie générale Éric Schoenzetter.