On peste souvent quand le théâtre tourne en rond et ne parle plus que de lui. Même chose avec les films sur le cinéma, les romans sur la littérature. Cet entre-soi lasse vite. Mais Romancero queer, première pièce que Virginie Despentes écrit et met en scène en solo, aurait presque de quoi nous faire changer d’avis. C’est le deuxième volet d’une trilogie consacrée à ce milieu. Dans Woke, coécrit en 2024 avec Julien Delmaire, Anne Pauly et Paul B. Preciado, quatre écrivains s’étaient déjà essayés à l’exercice : écrire, à plusieurs voix, pour un théâtre public en pleine mutation.

Cette fois, on plonge dans les loges. Une bande de huit comédiens queers y répète sous la coupe d’un metteur en scène invisible, mais tout-puissant. « Michel », soixantenaire, blanc, hétéro, veut « queeriser » La Maison de Bernarda Alba pour faire plus moderne. Il convoque un à un ses acteurs. Ceux qui restent sur le plateau échangent, s’interrogent. Et racontent, au fil des dialogues, les maltraitances qu’ils subissent, sur scène comme ailleurs.
Une révolte en bande
Le dispositif est simple : huit acteurs, un plateau presque nu. Mais l’énergie du groupe fait tout. Les rôles, taillés sur mesure, tiennent la pièce debout. Il y a Faïrouz, lesbienne et ex-star d’une série policière (Soraya Garlenq, hilarante), Nina, fraîchement trompée (Mascare, au cordeau), Lou, actrice médiocre et proie consentante de Michel (Clara Ponsot, délicieusement crispante). Tous incarnent un théâtre en train de se fissurer, et dégainent une critique mordante des vieux codes bourgeois : « tu joues trop théâtre », « donne-nous de la modernité », balance Michel, quelque part en coulisses.

Très vite, la révolte gronde. Sur scène, les échanges claquent, les punchlines s’enchaînent : sur la culture, ses petits arrangements, ses abus. Et au-delà. Face aux injustices du monde, que faire ? Se soulever ou plier ? « File-moi cent balles et je m’appelle Louise Michel », lâche Max, comédien et dealer du metteur en scène (Casey, parfait), quand les autres évoquent la grève.
Consolation
C’est souvent drôle. Parfois un peu long. Mais le plaisir vient surtout de ce regard sans fard que Despentes pose sur ce qui nous entoure : montée de l’extrême droite, violences de pouvoir, agressions sexuelles… Un programme dense, qui culmine dans un moment d’une force rare. Faïrouz, face public, lâche « ils n’ont jamais été aussi heureux que sous Pétain ! On n’a rien dit pour les élections confisquées, on n’a rien dit pour Trump, on n’a rien dit pour Gaza. Et pendant ce temps, d’admirables charognards à cheveux de riches se pavanent à la télé, nous répétant jusqu’au sommeil que ça ne sert à rien, que c’est plié, que c’est dangereux… »
Pas une révolution. Ni sur le fond, ni sur la forme. Mais faut-il toujours l’être ? Ce soir-là, le public applaudit à tout rompre après la tirade, et offre une longue standing ovation aux comédiens. Parce qu’en ces temps plombés, un peu de consolation, ça compte.
Romancero queer de Virginie Despentes
du 20 mai au 29 juin 2025 à La Colline – Théâtre nationaal
durée 1h40 environ
Mise en scène de Virginie Despentes assistée de Fatima Ben Bassal
avec Sasha Andres, Amir Baylly, Casey en alternance avec Naelle Dariya [à partir du 10 juin], Mata Gabin, Soraya Garlenq, Mascare, Soa de Muse, Clara Ponsot
scénographie et lumières de Camille Duchemin
composition musicale de Varou Jan
son d’Annabelle Maillard
costumes de Marie La Rocca
collaboration dramaturgique – La Rata
fabrication des accessoires, costumes et décor ateliers de La Colline