Le Festival d’Alba est aujourd’hui un rendez-vous incontournable de l’été en Ardèche. Mais à l’origine, comment La Cascade a-t-elle été associée à ce projet ?
Alain Reynaud : Le théâtre antique d’Alba est un site départemental. Dans les années 1990, le CDN de Valence y proposait une programmation estivale. Au moment où La Cascade ouvrait ses portes à Bourg-Saint-Andéol, en 2008, le CDN se retirait du projet. Le Département, qui soutenait activement notre initiative, a eu l’intuition d’un lien possible. C’était cohérent de réunir en un même projet un pôle national cirque tout neuf avec un théâtre antique disponible. Logiquement, on a pris en main le site, et imaginé un nouveau temps fort estival en 2009.
Le cirque a donc remplacé le théâtre. Comment le public a-t-il réagi à ce changement de cap artistique ?

Alain Reynaud : Il a tout de suite été au rendez-vous. On a changé l’esprit du festival. Ce ne sont plus seulement des spectacles en soirée, mais une vraie journée à vivre à Alba. On a élargi les formats, les lieux, l’expérience. C’est devenu une fête populaire, une villégiature. Et ça a marché. La fréquentation n’a fait que croître. En dix ans, on est passé de 10 000 à près de 30 000 spectateurs. C’était inattendu et très joyeux.
Concrètement, qu’est-ce qui fait la spécificité du festival aujourd’hui ?
Alain Reynaud : C’est d’abord la diversité des formes. Le cirque contemporain, c’est vaste. On essaie d’en montrer la pluralité, que ce soit dans les genres, les formats ou les générations. Et on programme dans un espace atypique. À part le théâtre antique, qui est pensé comme un lieu de spectacle et un chapiteau, tout se fait à ciel ouvert. L’espace public est notre terrain de jeu. Le public est mobile, la scénographie, c’est le paysage, les rues.
La programmation du festival est-elle pensée en lien avec le travail de La Cascade tout au long de l’année ?
Alain Reynaud : Toujours. Le festival, ce n’est pas une parenthèse. Il prolonge ce qu’on fait à Bourg-Saint-Andéol. Les compagnies qu’on accueille en résidence peuvent se retrouver dans la programmation d’Alba. Et inversement. On évite la programmation “à la carte”. On travaille dans la durée, on invente parfois des formes spécifiques pour Alba, comme les cartes blanches données à des artistes, ou des créations sur mesure. Cette année, par exemple, les Josianes et la Cirque la compagnie investissent le théâtre antique.
La programmation du festival reflète aussi une fidélité à certains artistes. Quelles sont les grandes lignes qui la structurent cette année ?

Alain Reynaud : On aime tisser des liens sur le long cours. Il y a des compagnies qu’on suit depuis le début, comme Trottola, dont pratiquement tous les spectacles ont été présentés à Alba. C’est une fierté de traverser l’œuvre complète de certains artistes avec le public. Cette année, nous avons aussi confié une carte blanche aux Josianes et à Cirque la compagnie, dans le théâtre antique. On a voulu ouvrir cet espace à des formes récentes, régionales, audacieuses. À côté de ça, il y a les fidèles de l’espace public, comme la compagnie Puéril péril, qui travaille une écriture quadrifrontale et puissante pour la rue. Et puis il y a les découvertes, comme Wilmer Marquez et Paul Molina de la compagnie Mouton Noir, ces derniers n’étaient jamais venus à La Cascade. On aime cette tension entre fidélité et nouveauté. Le cirque contemporain est un champ vaste, et on cherche à montrer cette richesse.
Depuis 2010, vous avez aussi lancé les “Préalables”, une semaine de spectacles gratuits dans les villages alentours. Pourquoi ?
Alain Reynaud : C’est né d’une envie d’aller à la rencontre du territoire. À l’époque, la communauté de communes autour d’Alba ne comptait que six communes. Aujourd’hui, elles sont quinze. L’idée, c’était d’élargir l’impact du festival à l’échelle locale. On va à la rencontre des habitants, y compris dans des villages les plus petits. Pour eux, voir débarquer un spectacle sur la place du village, ça a une vraie portée. Ce n’est pas juste une avant-première, ou un spectacle posé là, c’est un moment fort en soi. Une rencontre.
Comment choisissez-vous les spectacles pour les Préalables ?
Alain Reynaud : On garde la même logique d’éclectisme, mais avec une attention particulière à la mobilité et à l’adaptation au lieu. On y invite de grands noms, comme cette année l’Atelier Lefèvre & André, mais aussi de jeunes artistes, comme la Compagnie Un de ces quatre, pour qui c’est parfois la première présentation publique de leur nouvelle création. L’espace public demande une présence particulière. Il faut des artistes capables d’« habiter » un lieu, pas juste d’y jouer.
La question des moyens est sur toutes les lèvres. Êtes-vous touchés par les baisses de financements ?

Alain Reynaud : Pour l’instant, non. Nos subventions sont stables. Mais on est vigilants. Tout coûte plus cher aujourd’hui, et les budgets ne suivent pas. On sent bien que la dynamique de développement des années passées s’est tassée. On continue, mais avec plus de prudence.
Vous êtes aussi présent au festival en tant qu’artiste. Que représente pour vous cette double implication ?
Alain Reynaud : En tant que directeur, je soutiens des artistes, sur le temps long, c’est la manière dont on accompagne les artistes à La Cascade. Par exemple, la Contrebande, je les ai vus sortir d’école, on les a suivis, programmés. Ce compagnonnage sur la durée, c’est fondamental. Avec les Établissements Félix Tampon, je suis clown dans le village. C’est un autre lien au public et mêler les deux, c’est un plaisir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Préalables
du 3 au 8 juin 2025
Festival d’Alba
du 9 au 14 juillet 2025