Oeil-Olivier
FMD2025_1140X261
FdM-2025_OEIL-Olivier-1140x261 copie (1)
Bannière-MM-Oeil-Olivier-1140x261PX
module-Oeil-1140-261-tragedies-001
oeil-olivier-2025-Alba-bandeau-long
Oeil-Olivier
FdM-2025_OEIL-Olivier-1140x261 copie (1)
Bannière-MM-Oeil-Olivier-1140x261PX
module-Oeil-1140-261-tragedies-001
FMD2025_1140X261
oeil-olivier-2025-Alba-bandeau-long
Tapajós de Gabriela Carneiro da Cunha © Manoela Cezar
Tapajós de Gabriela Carneiro da Cunha © Manoela Cezar

Tempo Forte : une soirée printanière pleine de surprises au Théâtre de Vidy

Pour ce nouveau temps fort, Vincent Baudriller a mis les petits plats dans les grands. De Christoph Marthaler à Gabriela Carneiro da Cunha, en passant par Catol Teixeira, il orchestre un voyage immobile, de l’Amazonie aux sommets alpins, traversé par une transe corporelle pleine de douceur.

Le soleil est au zénith. Face au lac Léman, le Théâtre de Vidy bruisse de monde en cet après-midi de mai. Si la météo invite à des activités de plein air, au farniente et à la sieste, c’est pourtant dans les salles que tout se joue. La première  escale de ce voyage théâtral et performatif se fait salle 17. Gabriela Carneiro da Cunha y invite le public à abandonner toute technologie – une feuille bleue remise à l’entrée intime chacun à éteindre téléphone et montre connectée – pour se laisser porter par les courants d’une rivière et les récits de ceux qui vivent au fil de l’eau… et du mercure.

<em>Tapajós</em> de Gabriela Carneiro da Cunha © Joao Freddi
Tapajós de Gabriela Carneiro da Cunha © Joao Freddi

L’expérience commence avant même l’entrée en salle. Neuf mères, invitées à prendre part à Tapajós, prêtent leur souffle, leur présence, leur écoute. Depuis plusieurs années, l’artiste brésilienne Gabriela Carneiro da Cunha, avec son Projeto Margens, mène une recherche au long cours. Son ambition est de faire entendre les voix des rivières blessées, des femmes qui les soignent, et, avec elles, de toutes les formes de vie qu’elles nourrissent — humaines et non humaines.

Dans la forêt amazonienne, les mères Munduruku, comme tant d’autres femmes de la région, sont empoisonnées au mercure, relâché dans l’eau par l’orpaillage illégal. Ce poison invisible circule dans les rivières comme dans les corps, contamine les chairs, traverse les générations. Dans cette création accueillie par Vidy avant de s’envoler vers le Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, les Wiener Festwochen à Vienne et le Festival d’Automne à Paris en partenariat avec le Centre Pompidou, deux artistes – Mafalda Pequenino et Gabriela Carneiro da Cunha elle-même — tissent un duo choral. Elles mêlent paroles de résistance et gestes de soin, s’adressent à la rivière, au public, aux esprits. Les témoignages surgissent, les chants s’élèvent. Fausses couches, douleurs, morts précoces. Mais aussi liens, luttes, courage.

Autant rituel qu’une performance, cette expérience collective convoque les mères Munduruku, les mères de famille, la mère poisson, la mère forêt, la mère rivière. Il fait de la scène un espace de mémoire et de combat. Dans un espace nimbé d’une lumière rouge tamisée, l’apparition lente de photographies argentiques, révélées comme l’or l’est par le mercure, est certainement l’un des moments suspendus les plus marquants de cette œuvre expérimentale, de ce laboratoire scénique. Les images émergent, fragiles, comme un monde en train de disparaître. C’est beau, c’est urgent.

Spectacle-manifeste autant que laboratoire poétique, Tapajós nous pousse à suspendre le temps, à écouter les silences, à ouvrir les yeux. À reconnaître, dans ce drame qui touche les peuples autochtones, nos responsabilités occidentales. Et à dire, ensemble : stop.

Le Sommet de Chritsoph Marthaler © Mathias Horn
Le Sommet de Chritsoph Marthaler © Mathias Horn

À peine le temps de respirer, de retrouver la lumière d’un jour de mai éclatant, que sonne déjà l’appel de la salle suivante. Christoph Marthaler y présente sa dernière création, très attendue.

Sur scène, un décor énigmatique qui plonge le public au cœur d’un refuge alpin de bois blond, sans fenêtres, réduit à l’essentiel. Six individus, venus de divers horizons linguistiques (allemand, italien, anglais d’Écosse, français), se retrouvent convoqués à un mystérieux sommet. Coupés du monde, ils tentent de communiquer malgré les barrières de langue. Le monde extérieur est là, au loin, inquiétant, inaudible.

Chez Marthaler, l’échec devient chorégraphie. Les personnages bricolent, digressent, évitent les sujets brûlants. Des kits de survie surgissent comme par magie, des extincteurs gonflables s’empilent – dérisoires tentatives pour éteindre les incendies du monde. Les dialogues s’entrechoquent, les objets prennent vie. Une imprimante s’ébroue, une télévision s’allume. Autant d’irruptions absurdes qui réintroduisent un semblant d’harmonie.

Et puis, la musique. Fidèle à son goût pour le chant, Marthaler laisse surgir des harmonies dissonantes, drôles ou poignantes. Une chorale de naufragés. Derrière le burlesque, une méditation sur l’échec de nos sociétés, notre incapacité à faire cause commune. Entre poésie et absurde, le metteur en scène suisse signe une fresque tendre, drôle, et d’une troublante acuité.

ODE de Catol Teixeira © Zabenski
ODE de Catol Teixeira © Zabenski

La journée s’achève dans la salle de répétition du théâtre, dans une pénombre feutrée. ODE de Catol Teixeira clôt le parcours avec une étrange douceur, presque souterraine. Seul en scène, le chorégraphe livre un solo lent, habité par l’informe, le résiduel, l’indicible. Son corps avance à pas feutrés dans un espace de transition, traversé par les nappes sonores de Mbé et Luisa Lemgruber. Le mouvement naît dans les silences, les creux, les cicatrices. Chaque geste porte en lui un passé : une trace, une mémoire, une hésitation.

Le visage reste impassible, mais les émotions circulent — dans une main qui tremble, un bassin qui s’alourdit, un regard qui transperce sans s’attarder. ODE rend hommage à l’inaccompli, au flou, à ce qui ne trouve pas forme. Il y a là une beauté fragile, une tentative d’habiter le passage. Par moments, le geste se suspend, s’égare, et le spectateur avec lui, emporté dans une rêverie entre attente et abandon.

Peut-être manque-t-il à cette proposition une dramaturgie plus lisible, une charpente pour soutenir l’errance. Reste une pièce délicate, presque murmurée, qui touche par son refus de démontrer. Une danse comme un état du monde, mouvant, ouvert, traversé. Un corps en mutation. Qui doute, qui cherche, et fait de cette quête une forme de grâce…. Le songe d’une nuit de printemps peut alors emporter les festivaliers un peu plus loin dans leur errance cathartique. 


Tempo Forte
Théâtre de Vidy
Avenue Emile-Henri-Jaques-Dalcroze 5
1007 Lausanne, Suisse

Du 14 au 25 mai 2025

Tapajós de Gabriela Carneiro da Cunha / Fleuve Tapajós
du 14 au 24 mai 2025 – Création
durée 1h30

Tournée
27 au 31 mai 2025 au Kunstenfestivaldesarts, Les Halles de Schaerbeek
7 au 11 juin 2025 au Kosmos Theatrer, Wiener Festwochen

Avec Gabriela Carneiro da Cunha & Mafalda Pequenino
Création de Sofia Tomic, João Freddi, Vicente Otávio, Mafalda Pequenino, Gabriela Carneiro da Cunha


Le Sommet de Christoph Marthaler
Création le 6 mai 2025 au Théâtre Strehler – Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa
Durée 2h environ 

Tournée
16 au 25 mai 2025 au 
Théâtre de Vidy, Lausanne
12 au 17 juillet 2025 à 
La Fabrica, Festival d’Avignon

Mise en scène de Christoph Marthaler assisté de Giulia Rumasuglia
Avec Liliana Benini, Charlotte Clamens, Raphael Clamer, Federica Fracassi, Lukas Metzenbauer, Graham F. Valentine


ODE de Catol Teixeira
du 15 au 24 mai 2025
Durée 50 min

Conversation artistique avec la poète Gabriela Perigo
Musique de Mbé & Luisa Lemgruber

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.