« La voix de ma grand-mère » de Vanasay Khampommala : le Laos coule à nos oreilles

Que reste-t-il d’une ancêtre dont on n’a rien enregistré ? Quelles traces solliciter pour convoquer sa figure ? « Ma grand-mère est partie sans laisser de traces, et les traces qu’elle a laissées sont elles aussi soumises à l’obsolescence », raconte Vanasay Khamphommala au début de La voix de ma grand-mère. D’elle, pas une photo, et encore moins de vocaux ou de vidéo. Pour l’artiste multitâches, la question devient le point de départ d’une enquête qui ne cherchera pas tant à circonscrire les traits de la disparue, mais plutôt de questionner à sa source le désir même d’inscrire, de garder des traces des choses éphémères.

C’est que l’aventure mise en scène est un sacerdoce. Vanasay, chanteuse parmi d’autres casquettes, voudrait partager une chanson avec son aïeule. Commencer à la chanter, et peut-être que la voix de la défunte se mettra à résonner dans les hauts-parleurs de la salle ou dans celui d’une petite radio FM à piles, qui sait ? Seulement il faut trouver quel air entonner, et là aussi, c’est le vide phonographique : les chansons, au Laos, voyageaient peu avant les années quarante. La musique a commencé à être enregistrée et diffusée au moment précis où la grand-mère, à vingt ans à peine, s’éteignait.

© Christophe Raynaud de Lage

Le public est assis en rond, sur des tabourets ou à même le sol. Le décor est coloré, notamment par ces tapis en plastique tressé disposés comme un patchwork. Au milieu, un autel de fortune a été érigé, mêlant des objets plus ou moins traditionnels à des bibelots de marché en plein air et des appareils de technologie lo-fi. C’est ainsi, dans un petit espace qui rappelle les cérémonies religieuses du pays de son père, que Vanasay Khampommala embarque les spectateurs dans cette recherche immobile, invitant parfois à adorner avec elle cette petite capsule lao. La cérémonie à laquelle on s’apprête à assister a un nom : Soukhouan, pour “rappel des âmes”.

Pour tenter de faire revenir la grand-mère, il faudra bientôt inviter au plateau, non sans émotion, le père, le vrai. Somphet Khamphommala n’a pas connu sa génitrice, lui non plus : on dit qu’elle serait morte en couches. Il apparaît comme une personnification des paradoxes du pays, habillé à l’américaine comme Elvis, tout en chantant une chanson de village en lao, tout en dansant le Madison. Sa contribution à l’enquête est tout aussi cruciale qu’elle est parcellaire, pré-enregistrée en partie parce que le vieil homme ne connaît pas le texte par cœur. 

À mesure que s’épaissit le paysage sonore possible du Laos de l’aïeule, de chanson en field recordingLa voix de ma grand-mère finit par recomposer, par-delà la seule contemplation exotique, quelque chose d’un système de pensée lao capable de remettre en cause notre propre paradigme technologique. Puisque dans cette tentative toute fragile d’entendre une voix qui ne reviendra pas, Khampommala fille, aidée de son père, invite tout le public à cheminer vers un horizon où l’obsolescence programmée des mémoires a laissé place au principe continu d’un éternel renouvellement.


ສຽງຂອງຍ່າ (la voix de ma grand-mère) de Vanasay Khampommala
Création au TnBA
3 Place Pierre Renaudel
BP 80 031
33 034 Bordeaux
du 29 avril au 4 mai 2024
Durée 1h environ

Tournée
14 et 15 mai au théâtre des Îlets – CDN de Montluçon

Avec Vanasay Khamphommala, Somphet Khamphommala et les voix de Sieng In Bounmisay, Naly Lokhamsay, Daly Hiangsomboun
Collaboration artistique – Thomas Christin
Création sonore de Robin Meier Wiratunga
Installation plastique de Kim lan Nguyễn Thi
Travail chorégraphique d’Olé Khamchanla
Costumes de Vanasay Khamphommala, Marion Montel
Tissage de Mai Bounmisay, Souksavanh Chanthavanh, Monkham Thongpanya
Régie générale, son, plateau – Maël Fusillier
Création lumière,Régie lumière, plateau – Léa Dhieux

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