MADAM, le « sextathlon » féministe d’Hélène Soulié

Au Théâtre Molière de Sète, Hélène Soulié présente en intégralité son Projet MADAM – Manuel d’Auto-Défense À Méditer. Traversant différentes contrées, histoires et réflexions afin de redéfinir ce que signifie aujourd’hui être féministe, la metteuse en scène montpelliéraine, signe une œuvre protéiforme, inégale autant que passionnante. Un étonnant voyage en terre amazone !

© Marie Clauzade

Conçu comme un carnet de voyage en 6 épisodes, MADAM est une balade, une flânerie au cœur du temps présent, une réflexion autour des identités et du genre. Face au repli de nos sociétés occidentales sur elles-mêmes, à un patriarcat qui s’accroche, s’enferme dans son bastion masculiniste, à nos modèles éducatifs qui font que le masculin l’emporte toujours sur le féminin, Hélène Soulié s’interroge sur le féminisme, sur la place des femmes et surtout sur les moyens, les méthodes, les stratégies qui permettent pierre par pierre de changer de paradigme et de tendre enfin vers une parité, une égalité réelle et non fictive. 

Six Autrices pour six récits

Depuis maintenant quatre ans, Hélène Soulié parcourt la France, de villes en villages. Elle recueille des témoignages, des récits de vie, se nourrit de rencontres avec des inconnues, des chercheuses, des autrices, qui ont comme point commun d’être des trublions dans le tableau trop idyllique de nos sociétés soi-disant paritaires, des exagératrices patentées qui refusent de rentrer dans le moule d’un monde toujours et encore sous domination masculine. Prenant le pouls du féminisme à l’aune d’histoires fictionnelles ou réelles, de discussions avec des chercheuses qui dans leurs travaux questionnent en permanence le modèle imposé, les règles établies il y a des siècles par une poignée d’hommes, sur leur place dans un quotidien adapté au masculin, elle rêve de bouger les lignes, de faire une société autrement et d’inventer de nouvelles réalités. 

Autour de six thématiques – l’écologie, le capitalisme, le nomadisme, le devenir humain, la pulsion de vie et le racisme -, l’artiste a imaginé des épisodes où se conjuguent, s’entremêlent des textes commandés à six autrices, des entretiens avec des scientifiques, des universitaires et le vécu de six comédiennes, qui portent haut des paroles de femmes, de combattantes, de guerrières du genre et de la parité.  Loin de tout moralisme, évitant l’écueil de la donneuse de leçon, elle construit une œuvre dense, disparate, singulière qui émeut, touche, met à distance, laisse de côté pour mieux nous rattraper et secouer nos consciences endormies par notre éducation judéo-chrétienne. 

Un marathon féminin et féministe

Clairement les six heures de spectacle sont un morceau à avaler. Avec ingéniosité, Hélène Soulié a su varier les plaisirs, les formes et les styles, permettant ainsi des changements de rythmique et de ton salvateurs. Toutefois, et c’est le principal défaut de ce projet, qui sur le papier à tout pour séduire, il y a de grandes inégalités de textes, de plumes, de récits et de mises en scène. C’est une vraie montagne russe faite de fulgurances et de tunnels. Heureusement, avec beaucoup d’humour, l’artiste a su trouver des gimmicks, insuffler par endroits des moments de poésie, des discussions improbables avec sa « mamie » rock et funky, des appels d’air qui amusent les uns, enchantent et font rire la salle déjà acquise à la cause. Mais c’est dans l’espace périurbain queer et hip-hop et dans la tragédie que le spectacle touche au plus juste et emporte nos résistances. 

Clairement les textes de Marie Dilasser – MADAM#2 Faire le mur – ou comment faire le mur sans passer la nuit au poste – et de Claudine Galea – MADAM#5 [Quelque chose qui vaut mieux que soi] – , ainsi que l’intelligence des mises en scène, frappent, cognent et mettent KO. De l’histoire de ses graffeuses, femmes dans un monde d’hommes, à celui de cette sauveteuse en mer qui tente de mettre un peu d’humanité dans une méditerranée transformée en cimetière, Hélène Soulié, galvanisée, prend son parti et signe deux uppercuts scéniques puissants, sidérants. Rien que pour cela –, ce marathon théâtral vaut le déplacement, justifie cette folle odyssée et confirme talent et vision de ces artistes, de ces femmes qui avec ingéniosité, pertinence et irrévérence montrent les crocs, lèvent les poings et démontent point par point des arguments d’un autre temps. 

Le Pari de Sandrine Mini, directrice du TMS, de consacrer une après-midi et une soirée à l’intégrale de MADAM était audacieux et courageux. Il se révèle non seulement payant mais aussi nécessaire. Le public n’a pas pris la poudre d’escampette. Présent, il a tenu jusqu’au bout de la nuit, a suivi ces femmes dans leur combat quotidien pour l’égalité, pour la diversité et pour la parité. C’est beau un théâtre qui vit, des spectatrices et spectateurs qui débattent, râlent et s’enchantent dans un même temps ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Sète

MADAM – Manuel d’Auto-Défense À Méditer d’Hélène Soulié
Théâtre Molière, Scène nationale de Sète
Avenue Victor Hugo
34200 Sète

Conception et mise en scène d’Hélène Soulié assistée de Lenka Luptakova et Claire Engel
Texte et performance de Marine Bachelot NGuyen, Marie Dilasser, Mariette Navarro, Solenn Denis et Hélène Soulié, Claudine Galea & Magali Mougel

Avec Lenka Luptakova, Christine Braconnier, Claire Engel, Marion Coutarel, Lymia Vitte, Morgane Peters

Categories: Critiques