Les chants fragmentés de guerre et d’amour de la reine des Amazones

Au Théâtre de Sartrouville, Sylvain Maurice s’empare de Penthésilée, drame d’Heinrich von Kleist contant un épisode peu connu de la guerre de Troie, les amours tumultueuses d’Achille et de la reine des Amazones. Insufflant la vie à cette épopée légendaire, Norah Krief illumine la scène de sa présence détonante. 

A la manière d’un troubadour allant de village à village, Norak Krief, accompagnée du bassiste Dayan Korolic et du flûtiste Rishab Prasanna, investit la petite salle du théâtre de Sartrouville. Vêtue d’un long manteau noir cachant treillis et côte de maille, juchée sur une estrade, la truculente comédienne conte par le menu l’histoire de Penthésilée. Fille d’Otrere et reine des Amazones, gardienne des rites de son peuple, elle va être confrontée à un choix impossible entre raison et passion. 

La guerre de Troie en toile de fond

Devant les murs de la cité de Troie, l’élue du dieu Mars et ses guerrières se tiennent fières, majestueuses. Bien décidées à trouver amant sur le champ de bataille comme le veut leur tradition ancestrale — les amazones ne pouvant s’accoupler qu’avec des hommes qu’elles ont vaincus à la guerre —, elles déferlent telles des furies ne faisant aucune distinction entre assiégeants et assiégés. Lors de l’assaut, Penthélisée et le bel Achille s’amourachent éperdument. Déstabilisée, elle perd pied, trébuche devant le héros grec. 

Jeux d’amour et de dupes

Le combat terminé, refusant de perdre celle dont il est tombé amoureux du premier coup d’œil, Achille accepte d’inverser les rôles et de se faire passer pour captif. Maintenant autant qu’il se peut l’illusion, il laisse Penthésilée raconter l’histoire de son peuple, le préparer pour la fameuse Fête des roses, moment unique où les amazones s’accouplent avec celui qu’elles ont fait prisonnier. Découvrant la duperie, l’altière reine perd la raison et tue dans un dernier combat son aimé, avant de succomber à son tour. 

Les contraintes d’être femme

Reprenant son travail entamé en 2020 autour du chef d’œuvre d’Heinrich von Kleist, Sylvain Maurice s’attache à donner vie au fascinant destin de cette figure féminine de la mythologie antique. Travaillant à partir des traductions de Ruth Orthmann et d’Éloi Recoing, il tisse un récit vibrant, épique, où la question de la place des femmes dans nos sociétés et en temps de guerre est centrale. Née d’un peuple meurtri par les violences des hommes, Penthésilée est confrontée au pire des dilemmes, accepter son lourd héritage ou le renier pour céder à ses pulsions amoureuses. Pourquoi doit-elle choisir ? La loi des hommes l’impose, quitte à la pousser à l’irréparable, à la folie. 

Conte musical

S’inspirant de la construction du drame de Kleist, à la façon des chants de l’Iliade, Sylvain Maurice conjugue adroitement textes et musiques et signe une fable truculente autant que touchante. S’appuyant sur le jeu très rock de Norah Krief et de la présence au plateau de deux musiciens d’exception, il fait de Penthésilée une héroïne des temps modernes. Lumières ciselées et mise en scène épurée font le reste. La fête des roses, encore fragile en ce soir de première, se déguste avec plaisir. Un moment suspendu de poésie à savourer sans tarder !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

La fête des roses d’après Penthésilée d’Heinrich von Kleist
Festival Avignon Off11 – Avignon
11 boulevard Raspail 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet 2022 à 13h30, relâche les 12, 19, 26 juillet
Durée 1h05


Théâtre Sartrouville -Yvelines – CDN
place Jacques-Brel – BP 93
78505 Sartrouville cedex

Jusqu’au 1er avril 2022

version scénique et mise en scène de Sylvain Maurice
avec Norah Krief et les musiciens Dayan Korolic et Rishab Prasanna
texte français de Ruth Orthmann et Éloi Recoing
composition originale de Dayan Korolic
lumière de Rodolphe Martin
costumes d’Olga Karpinsky
régie générale et lumière de Fabien Vandroy
régie son d’Eliott Hemery ou François Mallebay
construction totems et décor  – Adrien Alessandrini et Mehdi Mazouzi / lycée Jules-Verne de Sartrouville
avec la collaboration technique d’André Neri
réalisation informatique et musicale, design sonore basse – Joseph Escribe

Crédit photos © Simon Gosselin

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