Embarquement immédiat pour le fascinant Nosztalgia Express de Marc Lainé

Après moultes péripéties et reports, la première grosse création du nouveau directeur de la Comédie de Valence s’installe enfin pour quelques jours en terre valentinoise. Attachez vos ceintures, le surdoué et prolixe Marc Lainé invite à un voyage psychédélique et cartoonesque à travers le temps, l’espace, une balade intime qui entremêle magistralement petite et grande Histoire et fait étrangement écho aux événements ukrainiens. 

Les années 1980 touchent à leur fin. Le rideau de fer qui sépare l’Est de l’Ouest de l’Europe vacille. Le mur de Berlin s’effrite. Dans ce climat électrique, Victor Zellinger (épatant Olivier Werner), ancien détective privé, coule une retraite quelque peu intranquille dans un pavillon de banlieue. Une affaire non résolue continue à hanter ses nuits. Le matin du 4 novembre 1956, Simone Valentin (lumineuse Léopoldine Hummel) et son fils de dix ans, Daniel (insaisissable François Praud), embarquent dans le train pour Strasbourg. C’est un voyage qui se veut sans retour. À Reims, après une rencontre intrigante avec un mystérieux voyageur qui roule les r, la jeune femme, entière et résolue, prétexte un changement de plan pour laisser son fils esseulé sur le quai de la gare. 

Un yéyé mélancolique

Douze ans plus tard, l’orphelin, qui se fait maintenant appeler Danny, est devenu, en un tube, une star. Lunettes fumées, chemises à paillettes et pantalon pat d’eph, il erre comme une âme en peine dans son studio d’enregistrement. Marqué à jamais par cet abandon incompréhensible qui nourrit son œuvre musical, le jeune homme, totalement désabusé n’est plus bon à rien, ne trouve plus l’inspiration et avale les antidépresseurs comme des bonbons. Refusant de le voir sombrer plus profondément dans une mélancolie noire, son assistante personnelle, la féministe rigide Daphnée Monrose (détonante Émilie Franco), et son impresario, le sémillant Hervé Marconi (inénarrable Thomas Gonzalez) prennent le taureau par les cornes et décident de faire appel au talent du zélé et peu orthodoxe Zellinger pour partir à la recherche de cette mère tant aimée, désirée. Commence alors une enquête folle qui mènera le quatuor sur des chemins escarpés et tortueux, au cœur d’une Hongrie qui vit sous le règne de la terreur communiste depuis qu’elle a été envahie par les chars russes, le jour exact de la disparation de l’énigmatique Simone. 

Histoire(s) à tiroir

Pourvu d’un incroyable talent de fabuliste et d’une imagination débordante, Marc Lainé esquisse un conte délirant, totalement dément. Partant d’un acte désespéré, que beaucoup considère comme inhumain, l’abandon sans explication par une mère de son enfant, il tisse un récit kaléidoscopique qui emprunte autant aux thrillers, aux romans d’espionnage façon OSS 117, qu’aux comédies musicales. Avec une fluidité et une virtuosité incroyable, il rend crédible la plus abracadabrantesque des histoires et tient en haleine le spectateur trois heures durant. Jouant sur les esthétismes très psyché voire kitsch des années 70 mais aussi sur ceux comiques des cartoons façon Tex Avery, il donne chair et corps à sa plume avec une belle énergie, un sens du show, du divertissement, sans pourtant sacrifier en filigrane, l’histoire d’un pays qui le temps de quelques jours à rêver d’un socialisme idéal, utopiste avant de sombrer dans la peur, dans la dictature. Le parallèle, avec le spectacle autobiographique de Tünde Deak présenté la semaine dernière à la Comédie de Valence, est assez vertigineux. Évoquant le droit à la liberté, l’un évoque la fuite, l’autre la lutte.

Une distribution explosive

S’appuyant sur une scénographie très ciselée dont il a le secret, Marc Lainé réunit au plateau une troupe de comédiens très hétéroclites mais de haut de vol. Portée par Thomas Gonzalez, qui offre un festival de pantomimes queer, et par François Praud, dépressif halluciné, la distribution fait des étincelles. Bien qu’en ce soir de première valentinoise, tous doivent trouver leurs marques, on pressent toute la potentialité de ses personnalités engagées et burlesques. Un vrai feu d’artifice qui nous emmène au bout de la nuit, une ode à la vie, à l’amour mais aussi à la force supérieure de l’engagement politique quand il est sincère et profondément ancré dans la croyance d’un monde meilleur !

Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Valence

Nosztalgia Express de Marc Lainé
La Comédie de Valence 

Place Charles Huguenel
26000 Valence
jusqu’au 18 mars 2022
Durée 3h environ

Tournée
du 22 au 26 mars 2022 au Théâtre de Liège, Centre scénique Fédération Wallonie-Bruxelles
Les 7 et 8 avril  2022 à La Comédie, CDN de Reims
Les 20 et 21 avril 2022 au Théâtre Molière, Sète
Les 7 et 8 juin 2022 à La Filature, scène nationale de Mulhouse
Du 14 au 23 juin 2022 au Théâtre de la Ville, Paris

mise en scène et scénographie de Marc Lainé
Avec Alain Eloy, Émilie Franco, Thomas Gonzalez, Léopoldine Hummel, François Praud, François Sauveur, Olivier Werner, et la participation de Farid Laroussi, Didier Raymond, et à l’écran Simon Viougeas
Musique: Émile Sornin (Forever Pavot)
Collaboration artistique: Tünde Deak
Collaboration à la scénographie: Stephan Zimmerli
Costumes: Benjamin Moreau
Lumière: Kevin Briard
Son: Morgan Conan-Guez
Maquillage et perruques: Maléna Plagiau
Assistanat à la mise en scène: Jean Massé
Assistanat à la scénographie: Anouk Maugein
Construction décor et réalisation costumes: Ateliers du Théâtre de Liège
Construction décor du film: Act’ 
Texte publié chez Actes Sud-Papiers (2021)

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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