Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon © Vincent Zobler

Le phénomène Chaillon entre maux et performances

En clôture du Festival Dire de la Rose des vents, Rebecca Chaillon tord le cou aux stéréotypes avec Carte noire nommée désir.

En clôture du Festival Dire de la Rose des vents, à la maison Folie de Wazemmes, Rebecca Chaillon tord le cou aux stéréotypes et signe un manifeste visuel et réflectif sur la représentation de la femme noire en occident. Jouant des fantasmes et des clichés la performeuse signe une fresque monstre où se conjuguent fulgurance poétique et lourdeur potache.

La nuit tombe lentement sur Lille. Devant la Maison Folies Wazemmes, les éclairages de ville donnent au lieu une étrangeté, une singularité fait de briques rouges et de pelouses vertes. Dans la salle de convivialité, la foule se presse. Pour ce dernier soir de festival, Rebecca Chaillon fait salle comble. En ces temps incertains, cela fait plaisir à voir. Le gong a sonné, les portes sont ouvertes, le public s’engouffre dans l’auditorium, qui très vite surchauffe. 

Nétwayé, baléyé, astiké, Kaz la toujou penpan

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon
© Vincent Zobler

Transformée en arène ivoirine, immaculée, la scène est coincée d’un côté par de confortables fauteuils de cuir crème, où s’installent une vingtaine de spectateurs triés sur le volet, de l’autre par les gradins endémiques. Accroupie par terre, Rebecca Chaillon récure, à grandes eaux, le sol. Se servant de ses vêtements, de sa culotte, elle fait briller le sol. Nue, couverte d’une fine crème blanche, elle expose son corps nu, voluptueux. Sans aucune gêne, libre, ingénue, elle défie les regards, les préjugés, s’amuse des clichés. À ses côtés, Ophélia Mac, artiste bruxelloise céramiste, observe son manège tout en pétrissant de la glaise, fabriquant, à vue, quelques poteries. 

Rite païen, cérémonie ostentatoire

 Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon © Marikel Lahana

En sœur, en infirmière, en servante d’une déesse de la fertilité venue de la lointaine préhistoire hantée les occidentaux, jouée avec ses fantasmes, ses certitudes, la plasticienne entame un rite purificateur. Avec énergie, elle lave le corps de celle qui, il y a peu, n’était assignée qu’au rôle de femme de ménage – résidu mémoriel d’une vision encore très coloniale du monde. Rejointe par six autres performeuses, elle va s’atteler à changer les regards, à modifier la perception quelque peu stéréotypée du public. Ironisant sur les petites annonces du magazine féminin Amina, qui enfile, comme des perles, les clichés sexualisant de la femme noire, les sept artistes associés à ce projet fou, transforme Rébecca Chaillon en déesse aux très longues tresses, d’un nouveau monde qui fait fi avec férocité, drôlerie et extravagance des poncifs et banalités. 

Militantisme Baroque 

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon
© Vincent Zobler

Passant de blagues potaches à des envolées lyriques, de scènes lourdingues à des tableaux somptueux imaginés par les scénographes, Camille Riquier et Shehrazad Dermé, la metteuse en scène et autrice d’origine martiniquaise signe un show follement baroque, terriblement cocasse et totalement foutraque. Bras levés, rages et humours ravageurs ne faisant qu’un, sourires aux lèvres, audacieusement dénudées, les huit excellentes performeuses – Bebe Melkor-KadiorEstelle BorelRébecca ChaillonAurore DéonMaëva Husband en alternance avec Olivia MaboungaOphélie MacMakeda Monnet et Fatou Siby – font du plateau un ring où se percutent idéaux, racismes crasses, préconçus dévoyés, colonialisme archaïque et révolution en dentelles. Autant radical que saisissant, détonant que percutant, Carte nommé désir joue à fond la carte de grotesque, de granguignolesque, de burlesque, quitte à surfer avec la caricature. 

Le regard blanc mis échec et mat

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon
© Vincent Zobler

Très performatif, le spectacle touche par son esthétisme cru, radical. On peut regretter que les moments plus poétiques, que les textes ciselés par cette généreuse, accorte et épicurienne prêtresse qui défie genre, couleur de peau, machisme, sexisme et pensée unique, se noient dans un trop plein d’idées, de surenchères d’effets. Brocardant la couleur café de Gainsbourg, twerkant, à en perdre le souffle, revisitant la figure mythique de Joséphine Baker ainsi que celle épiée de la Vénus Hottentote, dansant sur du Aya NakamuraRébecca Chaillon parodie et déconstruit les clichés. Clairement ça fait du bien où ça fait mal. Ça gratte aux entournures. Et même si parfois, l’objet théâtral passe à côtés de sa cible, de son sujet, Carte noire nommée désir fait réfléchir. Et c’est déjà beaucoup !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lille

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, Cie dans le ventre
création en novembre à la Manufacture – CDN de Nancy

Festival Dire de La Rose des vents
Maison Folies-Wazennes
70 Rue des Sarrazins
59000 Lille
Le 16 juillet 2022

Tournée
Du 2 au 4 février 2022 à La Comédie de Saint-Etienne
les 21 et 22 février 2022 au Carreau du Temple dans le cadre du festival Everybody à Paris (75)
le 25 février 2022 à (59) au Phénix – Scène Nationale, Valenciennes dans le cadre du Festival Cabaret des Curiosités
le 1er mars 2022 à la Scène nationale d’Orléans
du 9 au 11 mars 2022 aux Subs à Lyon
le 24 mars 2022 à la Maison de la Culture d’Amiens
les 22 et 23 avril 2022 au Tropique Atrium, scène nationale de la Martinique.

Texte et mise en scène de Rébecca Chaillon assistée Olivia Mabounga et Jojo Armaing
Avec Bebe Melkor-Kadior, Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby
Dramaturgie de Céline Champinot
Scénographie de Camille Riquier et Shehrazad Dermé
Création & régie sonore d’Elisa Monteil et Issa Gouchène
Régie générale & plateau Suzanne Péchenart 
Création & régie lumière Myriam Adjalle
Construction Samuel Chenier et Baptiste Odet
Collaborations artistiques Aurore Déon, Suzanne Péchenart 
Production / Développement L’Oeil Ecoute – Mara Teboul & Elise Bernard

Crédit photos © Vincent Zobler et © Marikel Lahana

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