Laurent Hatat, père ciseleur d’une Mère coupable

Comédien et metteur en scène, Laurent Hatat visite au fil de sa carrière textes classiques comme contemporains. Après une adaptation très chorégraphiée d’Une Histoire de la Violence d’Édouard Louis, il s’attaque avec beaucoup de finesse à une œuvre peu montée de Beaumarchais, Mère coupable. Présenté du 23 au 26 novembre 2021 à la Comédie de Picardie, dans le cadre d’un partenariat avec la Maison de la Culture d’Amiens, le spectacle interroge le rapport aux autres et le poids des secrets dans nos sociétés. Rencontre avec un artiste sensible et curieux.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Un souvenir étrange, un spectacle de Noël à l’Hôpital Américain de Reims, où ma mère travaillait comme infirmière. Des danses, du chants, des scènes et, dans la salle, tous ces enfants en pyjama bleu, parfois sur des chaises roulantes, qui riaient. Cela reste un souvenir ambigu pour moi, la joie partagée de ces enfants, toute teintée de la gêne d’être bien portant.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’étais plutôt solitaire, timide et je découvre la pratique de la scène au tout début du lycée presque par hasard, comme l’heureuse conséquence d’une rencontre amoureuse. J’entre dans un groupe théâtre animé par des membres du Théâtre Universitaire Antigone. Très vite, nous jouons en public, et avec la scène, je découvre un plaisir immense, dangereux et fascinant. Je n’arrêterai plus ensuite.
À fin du lycée, ayant déjà joué et tourné, un peu, avec les spectacles du TU, je prends la mesure du sentiment de liberté que cela me donne, j’entrevois les possibilités infinies de rencontres que le théâtre offre. Et dans mon regard de tout jeune homme, l’urgent besoin d’échapper à un destin tout tracé, la hantise de passer toute ma vie au même endroit.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
J’ai choisi d’être tout d’abord comédien. Ai-je choisi ? c’était la seule chose que je connaissais dans ma fraîche rencontre avec le théâtre, le jeu, sur le tas. À 18 ans, j’étais magnétisé par la capitale, Paris, la certitude pour moi de devenir autre. J’y ai fait de très belles rencontres. Douze ans plus tard, c’est dans la mise en scène que j’ai mis toute mon énergie. Ce fut pour moi, la conquête d’une ambition encore plus grande : choisir les histoires que je raconterai, entraîner avec soi d’autres artistes, gagner mon autonomie artistique. Un possible que je n’imaginais pas une seconde quand j’ai commencé le théâtre.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Avec le groupe du théâtre de mon lycée et en collaboration avec le TU, nous avions monté La Chasse au Snark de Lewis Caroll. J’en garde un souvenir lumineux. Après la salle du réfectoire du lycée et celle du TU, nous avions fini par le jouer à la Maison de la Culture dans le cadre de rencontres lycéennes.
Mon premier contrat pro, c’est 4 ans plus tard, à 19 ans au Théâtre du Rond-Point. Je joue un jeune moine dans Le Dialogue dans le marécage de Marguerite Yourcenar. Je joue avec Bruno Sermone et Agnès Van Molder, j’y croise Madeleine Renaud, Samuel Beckett… Un autre monde, aujourd’hui.

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
C’est plus une collection de moments, qu’une hiérarchie pyramidale. 
En tant que spectateur, La Vie de Galilée mis en scène par Vitez au Français, intelligence et beauté, ou encore Le Square de Duras mis en scène par Didier Bezace avec Clothilde Mollet et Hervé Pierre, pertinence et sensibilité sociale, ou encore le tout premier spectacle de Tiphaine Raffier, La Chanson, qu’elle écrit, met en scène et joue avec Victoria Quesnel et Noémie Gantier, un joyeux coup de maître dès le premier essai !… Mais la liste pourrait être longue.
Comme metteur en scène, c’est le plaisir des équipes en grande création comme Nathan le Sage de Lessing, ou en ce moment de La Mère Coupable de Beaumarchais, avec ce sentiment que chacun y trouve à sa juste place, que chacun est moteur pour le projet. Ou encore la rencontre avec Didier Éribon et Édouard Louis à travers Retour à Reims et Histoire de la Violence, la mise en jeu d’une pensée qui libère.

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
J’en ai cité quelques-unes déjà. 
Je précise, le trio Didier Bezace, Catherine Dan et Laurent Caillon, alors à la tête des choix artistiques du Théâtre de La Commune. Pour la confiance et le soutien qu’ils m’ont apporté et au-delà, leur amitié. Didier était un homme de courage et de conviction, c’est précieux.
J’y ajoute Emma Gustafsson avec qui je co-mets en scène les spectacles d’anima motrix. Avec son apport de la danse contemporaine, notre collaboration artistique nous offre une grande et nouvelle ouverture esthétique, la pensée et le mouvement, le mouvement de la pensée… Des outils merveilleux pour entreprendre les plus grands textes.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
J’aime à croire que je pourrai aussi trouver mon équilibre dans d’autres pratiques ! Tant qu’elles m’offrent, comme celle-ci, une forme de liberté de mon temps – dans une certaine mesure, bien sûr – une place pour la rêverie, pour laisser mon esprit prendre les chemins de traverse pour découvrir, comprendre et transmettre.
Ce qu’il y a de formidable dans ce métier, c’est qu’on peut le vivre en aller-retour constant entre recherche pour soi-même et transmission pour l’autre. Cette énergie en mouvement me passionne.

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Comprendre, j’aime comprendre ce qui fait nos vies. Et exulter.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
J’aime son artisanat nécessaire, la grande précision du sens. J’aime l’idée de travailler avec des gens qui sont comme moi dans l’absolu nécessité du rendez-vous avec le public. J’aime cet extrême condensé de vie que la scène nous offre.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Au pied de la lettre, pour parler comme les anciens, je prends la tête et le cœur, et je laisse le foie aux amoureux de la pyrotechnie et des grosses enceintes.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Avec Audrey Bonnet, nous pensons avec Emma qu’elle est pile à l’endroit de notre recherche qui entrelace les expressions du corps et de l’esprit. Et il y a tant d’acteurs et d’actrices avec qui nous, j’aimerai travailler ! J’aimerai aussi une aventure un peu longue avec des gens du cirque, des aériens, des équilibristes, pour inventer avec eux une odyssée spatiale sur scène.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
J’en ai justement une liste dans mon ordinateur dans un dossier intitulé « spectacles à faire », alors allons y : 
— Un spectacle sur la guerre d’Algérie qui pourrait être vue et aimé d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, un spectacle bilingue forcément. Je sais, je commence fort.
— Une intégrale du Faust de Goethe. Bilingue là aussi, bien sûr !
— Une adaptation jouée, chantée et dansée du De Natura Rerum de Lucrèce 
Et un dernier pour finir.
— Construire un festival européen des littératures de l’imaginaire à la scène. 
Mais celui-là n’est pas si fou, non ? je le ferai !

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Un jardin secret truffé de détour et d’installation inattendue, de Tinguely, de Chiharu Shiota, ce serait bien. Ou une pièce encore inachevée.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

La mère coupable d’après Pierre Augustin Caron de Beaumarchais 
Mise en scène par Laurent Hatat
Création sans public au Théâtre-Cinéma de Choisy-le-Roi, le 12 janvier 2021
durée 2h00 environ

Tournée
d
u 23 au 26 novembre 2021 à la Comédie de Picardie, Scène conventionnée d’Amiens
Les 8 et 9 mars 2022 au Bateau Feu, Scène Nationale de Dunkerque 
les 21 et 21 mars 2022 au Théâtre Paul Éluard, Choisy-Le-Roi
Le 29 MARS 2022 au Théâtre d’Abbeville
les 17 et 18 NOV 2022 au DSN, Scène nationale de Dieppe

Crédit photos © Alain Hatat, © Victor Guillemot et © Jean Barak

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