La Belle Scène Saint-Denis à la convergence des arts

À Avignon, dans le cadre du festival OFF, le théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France s’installe depuis 12 ans à la Parenthèse pour diffuser les artistes qu’ils ont durant l’année en résidence. Du krump au néoclassique en passant par le cirque, la Belle Scène Saint-Denis donne le pouls des courants émergents de la danse. 

Dans la cour du théâtre la Parenthèse, la Belle Scène Saint-Denis pose ses valises, quelques jours, chaque année, en juillet. Des techniciens au service administratif, tout le théâtre Louis Aragon fait le voyage. L’objectif affiché par la directrice Emmanuelle Jouan, est simple, recréer pour les artistes, le cocon francilien. À voir, leurs sourires  détendus dès le premier jour des représentations, le pari est gagné. Du 7 au 16 juillet, c’est plus d’une dizaine de spectacles qui sont présentés. Tous, mus par un esprit créatif particulièrement acéré, déploient une écriture chorégraphique foisonnante, singulière, bouillonnante, en lien direct avec l’actualité. 

Du cirque et des mots

L’Orée est née de la rencontre entre le circassien, Jean-Baptiste André, et l’auteur, Eddy Pallaro. L’un déborde d’énergie, sent la nécessité de la partager, l’autre n’a plus que la parole pour exprimer sa fatigue, son manque de vitalité, son besoin de tranquillité. De cet antagonisme de façade émerge une connivence au plateau, une amitié quasiment amoureuse. Leur union est une évidence, une force, une manière singulière et unique d’affronter l’hostilité d’un monde qui n’aime que les gagnants, les audacieux, les énervés, et met à son ban les artistes, les perdants, les éthérés. Un moment suspendu qui devrait gagner en resserrant l’écriture, un peu trop bavarde. 

Tableaux vivants

Sur un air de Debussy, le chorégraphe Herman Diephus imagine une danse de l’impression. Il se sert des corps de ses danseurs comme des pinceaux, des stylets. Au fil des notes, il esquisse le portrait d’une histoire d’amour, de la rencontre, à l’union, en passant par la passion et les déchirements. Sa grammaire est précise, son vocabulaire étudié, recherché, académique. Emportée par les sentiments, par le désir de cette danseuse (Mélanie Giffard), de ce danseur (Yves Mwamba), par leur désaccord, l’écriture se fait plus vive, moins figée, la musique s’accélère. Les mouvements très classiques glissent vers le street dance, Debussy vers l’éléctro. Les corps s’essoufflent, s’étreignent pour mieux se séparer. Un bel et fugace instant, une jolie romance d’aujourd’hui avec ses hauts et ses bas. 

Trio féminin électrisant

Sur la scène, nettoyée en raison des consignes sanitaires, trois jeunes femmes, très différentes font leur entrée. Toutes habillées, d’un large short d’un ample teeshirt, elles se plantent face au public, le regardent droit dans les yeux. Imperceptiblement, elles bougent un doigt, une main, un pied. Les trois interprètes battent la mesure. Les spectateurs à l’unisson font de même. En quelques minutes, elles ont attiré l’attention, charmé, ferré leur auditoire. Plus rien ne rompra le charme. 30 minutes durant, la jeune chorégraphe Mellina Boubetra, dont Intro est la première pièce, touche juste. Les mouvements sont précis. L’humour n’est jamais loin de son écriture nourrie au hip hop et au krump. Sa poésie urbaine fait le reste. On est subjugué par sa jeunesse, son talent, son style déjà bien affirmé. Bravo ! 

Une revisite caustique de la ménagère de moins 50 ans

Dans un autre programme, Rebecca Journo se glisse dans la peau d’une ménagère pour mieux dénoncer la place des femmes dans la société. La jeune chorégraphe poursuit son travail exploratoire sur les archétypes féminins entamé avec l’Épouse, première partie de son diptyque. Mimant avec beaucoup de dérision les gestes du quotidien, le passage de l’aspirateur, de la serpillère, elle joue le contraste. Son visage fermé dément ses mouvements de plus en plus saccadés. La machine de la femme au foyer déraille subtilement au fil de la pièce. On se laisse embarquer dans cet onirique cauchemar, qui dénonce l’omniprésence d’un patriarcat toujours trop pesant. 

Des solos gracieux

Pour finir en beauté, avec la programmation, très éclectique, de la Belle scène Saint-Denis, rien de mieux que de (re)découvrir les deux premières œuvres de Mié Coquempot, créées au sein de sa compagnie K622 à la fin des années 90. Conjuguant danse et musique, la chorégraphe invite à travers ses deux solos, un féminin (Alexandra Damasse), un masculin (Jazz Barbé), à une balade au cœur de ce qui va faire sa marque de fabrique, un style épuré, particulièrement précis et maîtrisé. Mouvements aériens, gestes virtuoses, sa plume hypnotise et emporte dans un rêve doux et délicat. 

D’autres artistes, d’autres spectacles sont à découvrir jusqu’au 16 juillet, n’hésitez pas à découvrir le travail du Théâtre Louis Aragon, de sa directrice Emmanuelle Jouan et de toute son équipe. Rien que leur chaleureux accueil vaut le détour, mais surtout vous rencontrerez les artistes d’aujourd’hui et de demain.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

La belle Scène Saint-Denis

L’orée de Jean-Baptiste André́ et Eddy Pallaro
Durée 40 minutes 
Conception et interprétation Jean-Baptiste André́ et Eddy Pallaro Collaboration artistique Mélanie Maussion 
Régie générale Julien Lefeuvre 
Production, administration Muriel Pierre & Christophe Piederrière 

Impressions, nouvel accrochage d’Herman Diephuis 
Durée 35 minutes 
Conception, chorégraphie d’Herman Diephuis 
En collaboration avec Marvin Clech, Mélanie Giffard et Yves Mwamba
avec Mélanie Giffard, Yves Mwamba 
Création lumière Cléo Konongo 
Création sonore Pierre Boscheron 

Intro de Mellina Boubetra 
Durée 30 minutes 
Chorégraphie de Mellina Boubetra 
avec Mellina Boubetra, Katia Lharaig, Allison Faye 
Création lumière de Fabrice Sarcy
Régie lumière Benoît Cherouvrier 
Création musicale Patrick De Oliveira 

La Ménagère de Rebecca Journo 
Chorégraphie, performance et scénographie de Rebecca Journo 
Compositeur 
et musicien live Mathieu Bonnafous 
Création lumière Florentin Crouzet- Nico et Iris Julienne 
Costume Alya Derris 
Dramaturgie et œil extérieur Raphaëlle Latini et Tomeo Vergès 

An H to B & Nothing but Cie K622 • Mié Coquempot 
Durée 25 minutes 
Chorégraphie de Mié Coquempot 
Musique Morton Feldman, Ryoji Ikeda 
Réactivation Mié Coquempot et Jérôme Andrieu
Avec Alexandra Damasse, Jazz Barbé 
Régie générale de Christophe Poux 

Crédit photos © Charlotte Audureau, © TLA, © Maxime Leblanc, © K622

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