Elle tourne, elle tourne la jolie farandole des corps au Vieux-Colombier. Elle enivre les sens et enferre le spectateur dans cette quête du plaisir charnel, dans ce coït salvateur et éphémère. Toute envoûtante qu’elle est, elle se fissure et se rompt, alourdie par l’introduction d’un maître du jeu superflu autant qu’inutile.
Au centre de la scène, un plateau tournant noir sombre, découpé en plusieurs espaces distincts, sert d’unique décor. Sur son socle, inscrit en lettres blanches, le célèbre palindrome attribué à Virgile « In girum imus nocte et consumimur igni » (« Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu ») donne le ton à cette Ronde sulfureuse imaginée par l’autrichien Arthur Schnitzler au début du siècle dernier. Censurée en raison de son caractère ouvertement érotique et satirique, la pièce suit les parades amoureuses de couples de conditions et d’âges différents, les uns après les autres cédant aux sirènes de l’amour charnel dans le monde vieillissant et stéréotypé de l’empire austro-hongrois qui assiste impuissant à la fin de règne du trop rigide François-Joseph.
Toute la magie, le mystère, de cette fa
Alors qu’Arthur Schnitzler nous embarque sans préambule, sans explication, dans ce ballet charnel et mortifère où les masques tombent, où les êtres sont tous égaux face au désir de l’autre, Anne Kessler et son complice Guy Zilberstein ont fait le choix malheureux d’ajouter un personnage superflu à cette Ronde, une sorte de maître de cérémonie qui permet de lier les saynètes et d’en éclairer le propos. En cassant ainsi la rythmique énigmatique du texte du dramaturge autrichien, les deux artistes se perdent dans des circonvolutions métaphysiques qui plombent l’ensemble et perdent le spectateur dans un obscur brouillard. C’est d’autant plus dommage, que le rôle du plasticien berlinois qui, en quête de ses parents biologiques, recrée les variantes possibles à sa conception dans l’Allemagne en pleine mutation des années 1960, est interprété impeccablement par Louis Arène.
Portée par autant de talents qui se glissent avec une aisance confondante dans ses personnages archétypaux parfaitement croqués par Arthur Schnitzler, cette Ronde sensuelle et vénéneuse évite le désastre. Oubliant les malencontreux ajouts textuels, on se laisse bercer, envoûter par ce ballet des corps oscillant entre poésie sombre et burlesque.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La ronde d’après Arthur Schnitzler
Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie Française
21, rue du Vieux Colombier
75006 Paris
Jusqu’au 8 janvier 2017
Du mercredi au samedi 20H30, le mardi 19h00 et le dimanche 15h
durée 2h20 sans entracte
mise en scène d’Anne Kessler assistée de Rita Grillo
avec Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Julie Sicard, Hervé Pierre, Nâzim Boudjenah, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Pauline Clément et Louis Arene
Traduction, version scénique et scénographie de Guy Zilberstein
Lumières d’Arnaud Jung
Son de Dominique Bataille
Travail chorégraphique de Glysleïn Lefever
Maquillage et coiffure de Véronique Soulier-Nguyen
Crédit photos © Brigitte Enguérand, Collection Comédie-Française