Los Años de Mariano Penssotti © Isabel Machado Rios

Printemps des comédiens, la fureur de vie 

Au Printemps des Comédiens, Nikos Karathanos revisite le mythe de Prométhée et Mario Pensotti défie le temps.

Los Años de Mariano Penssotti © Isabel Machado Rios

Au domaine d’O, deux vents, l’un puissant né en Grèce, l’autre plus doux venu d’Argentine, soufflent, s’affrontent et se confrontent pour offrir aux festivaliers une soirée fort contrastée et troublante. Du prométhée revisité à l’encre noire par Nikos Karathanos au quotidien, à 30 ans d’intervalle ,d’un même individu, le Printemps des comédiens explore les marges, les contours, et invite à un voyage immobile dans une multitude d’esthétismes. Fascinant ! 

La belle saison s’est installée au cœur de la pinède. Les festivaliers, heureux de retrouver la magie chaleureuse du Domaine d’O, ont investi les lieux, ont pris leurs quartiers d’été. Profitant de l’ombre bienvenue en journée, des éclairages façon trattoria, le soir venu, c’est tout un monde, l’art vivant chevillé au corps, qui grouille, s’agite, partage et se laisse porter par les belles propositions théâtrales de ce troisième week-end du Printemps des Comédiens, consacré à deux spectacles venus d’ailleurs et dont ce sont les toutes premières représentations en France. Alors qu’au loin résonne la cloche annonçant le début du spectacle donné au théâtre Jean-Claude Carrière, les retardataires récupèrent leurs billets avant de pénétrer dans l’immense cube rouge,pour quitter, un temps, la terre occitane pour le Mont Caucase. 

Des titans, des dieux, des hommes 
Prométhée de Nikos Karathanos © Andreas Simopoulos

Musique assourdissante jouée en direct, voix tonitruantes rompant le silence, noir ciselé, lumière tamisée, Nikos Karathanos s’empare du mythe grec de Prométhée, le dissèque au scalpel, le ronge jusqu’à l’os pour en finir avec le combat des dieux, pour mettre fin à leur tyrannie, leur caprice, et inventer un nouveau monde sans chaîne. Titan promis aux supplices éternels – attaché à un rocher il est condamné à voir son foie dévoré éternellement par un aigle – , aux foudres de Zeus pour avoir osé braver les lois divines en offrant le feu aux hommes, le géant omniscient, joué par le metteur en scène, refuse toute compromission. Hiératique, malgré les suppliques d’un de ses frères, les menaces d’un autre, il refuse de révéler au maître de l’Olympe sa funeste destinée, les secrets de sa chute inéluctable, l’avènement du règne des hommes qui le libéra enfin de de son sempiternel martyr.

L’art éclatant de la forme

Âpre, rugueuse, la langue grecque frappe, tranche, percute l’air, s’insinue rêche dans nos oreilles. Mugissante, rugissante, déferlante, elle emporte tout sur son passage, la folie et l’avidité des dieux, la complicité de la fratrie, jusqu’au sens même du mythe, du propos que souhaite défendre Nikos Karathanos. Très vite, la confusion l’emporte, l’esprit se perd entre la lecture des sous-titres, très haut perchés, et la scène. Hypnotisé par le jeu puissant des comédiens, par la mise en scène virtuose, le public, un peu perdu, se laisse envoûté par la forme, l’intelligence de plateau, la maîtrise incroyable des lumières et surtout du noir. Confrontant le texte antique d’Eschyle aux contingences du monde moderne, Nikos Karathanos et ses interprètes – Yiannis KotsifasChristos Loulis et Galini Chatzipaschali – , envahissent l’espace implacablement et font de l’immense et imposant rocher noir, unique élément de décor, le cœur vibrant de la tragédie prométhéenne, qui, tarde à se faire entendre. Au-delà des ellipses et des parenthèses incompréhensibles du texte, c’est ailleurs que se situe la grande force de ce spectacle total, dans un vision esthétique pure de la fable grecque. Brume blanche, lumières rasantes, corps flottants, dépassant l’espace, le temps, ce Prométhée est clairement une œuvre déconcertante autant qu‘éblouissante.

En terre argentine 
Los Años de Mariano Penssotti © Isabel Machado Rios

À peine le temps de se remettre, que déjà, il est temps, de s’installer dans l’Amphithéâtre d’O. La nuit est tombée. L’air se rafraichit imperceptiblement. Autre lieu, autre atmosphère, plus prosaïque, plus ancré dans le monde d’aujourd’hui, Mariano Pensotti s’interroge sur la capacité de l’’être humain, à changer, à évoluer à trente ans d’intervalle. Manuel est un jeune architecte à l’avenir radieux. Tout semble lui sourire, sa compagne est enceinte, un projet de documentaire sur les bâtiments de Buenos Aires, répliques exactes d’édifices européens, occupe ses jours. La rencontre avec un jeune orphelin va bouleverser ce bel équilibre, changer le cours de sa vie. Obnubilé par ce garçon très débrouillard d’à peine dix ans, il en oublie tout, son métier, ses amis, sa future fille, son couple. Filmant jusqu’à l’obsession Raùl, il deviendra célèbre, mais à quel prix. À 60 ans, il revient en Argentine et tente maladroitement de renouer avec sa fille, sa vie d’avant. 

Le temps et l’espace 

Mettant en parallèle les deux vies, grâce à un dispositif ingénieux de praticables – côté à côte, se tiennent deux appartements sur deux niveaux identiques, l’un est ancré en 2020, l’autre en 2050 – , Mariano Pensotti entremêle les récits, les faits se chevaucher, se percuter et esquisse joliment des vies, des histoires et tissent au fil du temps des relations humaines. Formellement très maitrisée, Los Años plonge le spectateur dans une dimension parallèle entre moments présents et futurs imaginés à l’once de l’état du monde actuel. S’amusant des dérives du temps, dénonçant notre difficulté à faire évoluer nos mentalités face à l’urgence climatique notamment, il invente une société qui honnit le cinéma, rêve théâtre, mange de la viande, tue les cerfs qui envahissent les faubourgs des villes. Mordante par moment, sa vision reste toutefois assez terre à terre et manque de souffle au long court. 

Porté par une troupe virtuose – Marcelo SubiottoMara BestelliBárbara MassoPaco Gorriz et Julian Keck – , Los Años reste à la surface de ses personnages, sans jamais vraiment les creuser, les ciseler. L’œuvre est de bonne facture mais à trop survoler son sujet, elle ne gagne pas en hauteur et reste une pièce plaisante que l’on suit sans déplaisir, mais sans véritable émotion.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore -Envoyé spécial à Montpellier 

Printemps des Comédiens
Domaine d’O
178, rue de la Carriérasse
34090 Montpellier

Prométhée, d’après « Prométhée enchaîné » d’Eschyle
Théâtre Jean-Claude Carrière
Durée 1h30 environ 
mise en scène de Nikos Karathanos
Avec Nikos Karathanos, Yiannis Kotsifas, Christos Loulis et Galini Chatzipaschali

Traduction/texte de Yiannis Asteris 
Adaptation de Nikos Karathanos et Yiannis Asteris 
Décor d’Eva Manidaki
Conception des costumes – Aggelos Mentis
Conception des lumières – Felice Ross
Musique d’Angelos Triantafyllou 
Mouvement – Amalia Bennett
Conception sonore :-Yiorgos Poulios
Musiciens –  Angelos Triantafyllou, Dimitris Gkogas, Manos Ventouras, Nikolas Sarlis, Yiannis Kaikis et Ntinos Triantafyllou
« Prométhée » au Printemps des Comédiens est soutenu par le programme d’exportation culturelle « Outward Turn » d’Onassis Stegi.

Los Años de Mariano Pensotti
Amphithéâtre d’O
Durée 1h45

Tournée 
les 18 et 19 août 2022 au Festival Noonderzon – Groningen
les 24 et 25 août 2022 au Theaterfestival Basel – Basel
du 1er au 3 septembre au Theaterspektakel Zürich – Zurich
du 8 au 10 septembre 2022 à La Bâtie – Genève
les 26 et 27 novembre 2022 au Temporada Alta – Girona
Le 1er décembre 2022 au MA Scène Nationale – Montbéliard
du 7 au 9 décembre 2022 au Maillon – Strasbourg
du 13 au 18 décembre 2022 à Nanterre Amandiers dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. 

Direction artistique et mise en scène de Mariano Pensotti assisté de Juan Reato
Avec Marcelo Subiotto, Mara Bestelli, Bárbara Masso, Paco Gorriz et Julian Keck 
Musicien – Diego Vainer
Dramaturgie d’Aljoscha Begrich 
Dramaturgie Münchner Kammerspiele de Martín Valdés-Stauber 
Musique de Diego Vainer
Conception des lumières – David Seldes
Vidéo de Martín Borini
Chorégraphie de de Luciana Acuña
Décor et costumes de Mariana Tirantte 
Réalisation documentaire – Casting – Demian Villanueva Barrera(enfant) 
Coach enfant – María Laura Berch 
Coach en plateau – Victoria Angeli 
Cinématographie/DOP – Armin Marchesini Weihmüller 
Caméra – Victoria Pereda 
Éclairage – Agustín Córdoba 

Crédit photos © Isabel Machado Rios & © Andreas Simopoulos

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