Natalie Dessay Dans Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye - mise en scène de Blandine Savetier © Jean-Louis Fernandez

Natalie Dessay, une âme de chat sauvage

Au TNS, la comédienne et chanteuse lyrique joue dans Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye, dans une mise en scène de Blandine Savetier.

 Au TNS, Natalie Dessay incarne, dans Un pas de chat sauvage, pièce adaptée du roman éponyme de Marie NDiaye, une historienne obnubilée par la « Malibran noire », une cantatrice d’origine cubaine qui eut un succès éphémère à la fin du XIXe siècle. Portée par la mise en scène de Blandine Savetier, la musique jouée en direct par Greg Duret et la présence lumineuse à ses côtés de Nancy Nkusi, la comédienne fait entendre une langue, une voix, le récit d’une écrivaine en manque d’inspiration, le destin d’une femme confrontée au racisme, au colonialisme.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter sur scène ? 

Natalie Dessay : J’ai d’abord voulu jouer la comédie. Mais comme je n’ai pas été prise à l’école du TNS [rires], je me suis orientée vers d’autres horizons artistiques. Et parce que la vengeance est un plat qui se mange froid, je reviens ici, mais cette fois pour fouler les planches et porter au plateau, pour la deuxième saison consécutive, un texte de Marie NDiaye. Plus sérieusement, je pense qu’enfant, je n’avais pas vraiment une idée précise de ce que signifiait être artiste. La seule chose, dont je suis sûre, c’est que j’aimais déjà beaucoup les mots et que j’avais viscéralement besoin de m’exprimer par le corps. Logiquement, j’ai donc commencé par la danse. Quand j’ai compris, à l’âge de treize ou quatorze ans, que je ne m’améliorerais pas et que je ne deviendrais pas danseuse, ça a été une grande déception. Je me suis dirigée vers le chant, où j’ai fini par trouver ma voie, où j’ai pu m’épanouir.

En tant que chanteuse d’opéra, vous deviez aussi jouer sur scène ? 
Natalie Dessay Dans Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye - mise en scène de Blandine Savetier © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Natalie Dessay : Vous savez, la marge de manœuvre est très réduite. C’est la musique qui fait tout le boulot. C’est elle qui décide des émotions, du sous-texte que l’on doit exprimer, de la temporalité. Il n’y a pas le rapport aux mots comme au théâtre, pas cette intimité avec l’écrit. C’est avec les notes que nous travaillons. Et puis, que l’on soit soprano ou mezzo-soprano, quand nos voix montent dans les aigus, on est obligé de changer les voyelles pour l’harmonie. On s’éloigne du sens, du texte.

En 2017, vous êtes venue au théâtre. Comment vous êtes-vous emparée des mots ?

Natalie Dessay : C’est un tout autre métier. On ne peut s’appuyer sur rien d’autre que le texte. On doit se familiariser avec, lui donner vie sans le réciter, le psalmodier. Il faut trouver la musique de la langue, le bon tempo, insuffler aux mots sa propre sensibilité. Avant de l’interpréter, il faut en comprendre le sens, chercher ce que l’on souhaite exprimer. Cela nécessite de laisser de côté tout ce qui est athlétique dans l’opéra — régulation du souffle, tenir une note, etc. —, tout ce geste sportif qui projette toujours vers l’extérieur. Au théâtre, il y a quelque chose de plus poreux, de plus intérieur, de plus personnel. Interpréter un texte se nourrit de notre état d’esprit au moment T, de ce que l’on a dans le corps. Quelque part, la perfection du geste, ça n’a pas cours, on s’en fout. L’important, c’est d’être disponible sans filtre, sans retenue.

Vous parlez de musicalité de la langue au théâtre. C’est la deuxième fois que vous portez au plateau l’écriture si particulière, si travaillée de Marie Ndiaye. Qu’est-ce qui vous plaît chez cette autrice ?
Natalie Dessay Dans Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye - mise en scène de Blandine Savetier © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Natalie Dessay : Clairement, c’est la précision, la précision de la pensée, la précision du vocabulaire, les adverbes, l’originalité de la pensée. Elle a la capacité de mettre des mots les uns à côté des autres de manière très inattendue, et cela produit un effet stylistique incroyable, un chemin de réflexion qui trouble, interroge, questionne. Elle ne cherche pas à nous imposer un point de vue, elle laisse planer dans ses récits un mystère, une chose de l’ordre de l’irrésolu. C’est très intéressant à jouer, car cela laisse une grande marge de liberté. En fait, je trouve que par ses mots, sa manière de les assembler, elle s’approche au plus près de la complexité humaine. C’est très animal.

Dans Un pas de chat sauvage, un texte commandé par le Musée d’Orsay en 2019 à l’occasion de l’exposition « Le Modèle Noir», elle évoque l’histoire de la « Malibran noire », une artiste cubaine ayant eu une célébrité éphémère à Paris à la fin du XIXe siècle. Est-ce pour elle une manière de parler du colonialisme, du racisme ?

Natalie Dessay : Je ne peux répondre à sa place. Mais disons que si c’est le point de départ, ce n’est pas forcément sur cette question qu’elle se penche. Pour ma part, j’interprète la narratrice, une historienne, une écrivaine, confrontée à l’impossibilité d’écrire sur un sujet qui l’obsède. Professeure d’université, elle cherche à esquisser le portrait de Maria Martinez, dite « la Malibran noire », mais ne sait par où commencer son récit, faute de données suffisantes. On sait très peu de choses sur elle. Elle serait née à la Havane et morte en Espagne ou au Portugal dans le plus grand dénuement. Il y a d’un côté le tableau de Maria Martinez, chanteuse et musicienne, de l’autre des photos de Nadar représentant Maria l’antillaise, les mots de Théophile Gauther, de Baudelaire, etc. Mais est-ce vraiment la même personne ? On peut le supposer, mais nul ne le sait. C’est tout le mystère. Elle reste insaisissable pour la chercheuse que j’incarne. Au même moment, Marie Sachs, une artiste noire, qui pourrait être la réincarnation de la cantatrice disparue, débarque dans sa vie et met à mal toutes ses certitudes. Entre jalousie, rejet et fascination, un étrange lien se noue entre ces deux femmes. Est-elle réelle, est-elle un double, un fantôme ? À chacun de se faire son idée.

C’est la première fois que vous travaillez avec Blandine Savetier…
Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye - mise en scène de Blandine Savetier © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Natalie Dessay : En effet. C’est une incroyable expérience. Elle m’a beaucoup aidée à faire entendre la langue de Marie NDiaye, comment la porter au plateau. Comme je l’ai déjà évoqué un peu plutôt, on ne sait pas trop où l’on se situe entre rêve, fantasme et réalité. Avec Blandine, nous avons beaucoup travaillé sur cet espace de flottement, cette zone d’incertitude. Elle m’a permis d’aller chercher en moi la sensibilité nécessaire pour incarner ce texte qui a tout du monologue intérieur. Et puis grâce à elle, j’ai fait la connaissance de deux artistes fascinants : Nancy Nkusi et Greg Duret.

Cet été, vous serez dans le Off d’Avignon avec Les Bonnes de Genet…

Natalie Dessay : Oui, c’est un projet qui m’a été proposé par Mathieu Touzé, l’un des codirecteurs du Théâtre 14, où nous présenterons ensuite le spectacle en ouverture de saison. J’ai été séduite par le texte, évidement, mais aussi l’équipe, qui est d’une incroyable gentillesse. Je donnerai la réplique à Chloé Réjon et à Yuming Hey. Et puis, c’est l’expérience de faire le Off d’Avignon. J’y suis allée en 2018 avec l’adaptation par Richard Brunel du roman de Julie Otseka, Certaines n’avaient jamais vu la mer, mais c’était dans le In. Là, on va jouer tout le mois. Je ne sais pas encore ce que cela va donner, mais je me réjouis vraiment. Et puis, en 2024, je jouerai dans un Goldoni, sous la direction de Laurent Pelly. J’aime énormément l’idée de changer de registre, de passer du drame à la comédie. Dans mes rêves les plus fous, j’adorerais faire un Feydeau. Peut-être un jour… qui sait ?

Propos recueillis par olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg  

Un pas de chat sauvage de  Marie NDiaye
TNS
Salle Gignoux
1 avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg

Mise en scène de Blandine Savetier assistée de Julie Pilod
Adaptation Waddah Saab, Blandine Savetier
Avec Natalie Dessay, Nancy Nkusi et le musicien Greg Duret
Musique live – Greg Duret
Dramaturgie et collaboration artistique – Waddah Saab
Scénographie deSimon Restino
Musique de Greg Duret 
Lumière de Louisa Mercier
Costumes de Simon Restion, Blandine Savetier

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