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Anne Bouvier aux commandes de Miss Nina Simone

Anne bouvier met en scène le livre de Gilles Leroy.

Après un beau succès au Lucernaire, Miss Nina Simone, pièce adaptée du roman de Gilles Leroy, pose ses valises, remplies de standard de blues, de foulards bariolés, jusqu’à la fin juillet au théâtre de l’œuvre. L’occasion de rencontrer autour d’un café, la metteuse en scène Anne Bouvier qui revient avec beaucoup de tendresse sur cette incroyable aventure : l’évocation d’une vie hors-norme.

 Visage serein, épanoui, cigarette électronique noire à portée de main, Anne Bouvier a pris place à l’intérieur d’un de ces cafés chics, à deux pas de la Comédie-Française. Crinière brune indomptable, cette enfant de la balle a de quoi être heureuse. La vie lui sourit, avec pas moins de six pièces à l’affiche au prochain festival d’Avignon le Off et une reprise parisienne de sa dernière création au tout début de l’été. Retour sur une expérience riche en émotion.

Comment êtes-vous devenue metteuse en scène ?

Bouvier Anne_Portrait_©DR_@loeildoliv

Anne Bouvier : Je n’ai pas eu à faire de réel choix. Je suis fille de comédiens et c’était presque une évidence que je me dirigerais vers les métiers du théâtre. Une fois, la décision prise et actée par mes parents, je me suis préparée intensivement, avec mon père, à passer les différents concours, que ce soit celui de la rue Blanche ou du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique. Je n’estimais pas ne pas avoir de mérite à faire ce métier, j’avais besoin de me sentir légitime. J’ai été reçue aux deux examens. J’ai donc suivi l’une après l’autre les deux formations. J’avoue, j’ai une passion pour les concours (rires), même si cela me rend malade. Après avoir suivi les cours de ces deux institutions prestigieuses, j’ai très vite travaillé, enchaîné les pièces en tant que comédienne. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. Toutefois, mon envie de transmettre, d’enseigner, est devenue de plus en plus présente. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’un de mes élèves des cours Florent, Adrien Raccah, m’a proposée de mettre en scène un spectacle qu’il avait écrit. Ce fut le début de l’aventure. Étonnement, je n’ai jamais monté de pièce de mon propre chef. Les projets sont toujours venus à moi.

Comment avez-vous eu l’envie d’adapter pour le théâtre Nina Simone, roman de Gilles Leroy ?

Miss Nina Simone_1_bouvier_Lucernaire_©Samy La Famille_@loeildoliv

Anne Bouvier : L’idée de ne vient pas de moi. C’est Jina Djamba, une de mes anciennes étudiantes, particulièrement lumineuse et talentueuse, qui interprète d’ailleurs le rôle-titre, qui, il y a deux ans, a sonné à ma porte en me proposant ce projet. Elle venait de dévorer le roman. Elle voulait que je le lise pour savoir ce que j’en pensais. Depuis que je l’ai préparée à différents concours de comédiens, qu’elle a toujours réussis haut la main, il existe entre nous une très belle complicité avec l’envie de monter, un jour, un projet commun. Je me suis plongée très vite dans l’œuvre de Gilles Leroy. J’ai tout de suite aimé le style et je me suis passionnée pour ce personnage de diva déchue. Durant trois mois, avec Jina nous avons retravaillé le texte pour l’adapter au théâtre. Naturellement, elle m’a demandée de le mettre en scène. Tout est allé très vite. De manière assez artisanale, nous avons organisé deux showcases. Le premier a eu lieu au studio Hébertot en présence de l’auteur. Il a été emballé et nous a donné carte blanche par la suite. Même si nous avons souhaité jusqu’au bout qu’il ait un droit de regard, il n’a jamais été intrusif et a toujours validé nos choix. Lors du second showcase, nous avons eu la chance d’accueillir Karine Letellier, la chargée de programmation du Lucernaire. Elle a été sensible au sujet, à la pièce. L’aventure était lancée.

 Comment s’est passée la création ? 

Anne Bouvier : Sur ce projet, très artisanal, tout est allé très vite, d’autant que nous n’avions pas un sou vaillant. Jina a créé sa compagnie. On a mis en place un système de cagnotte participative. En parallèle, nous avons fait une demande de financement auprès de l’Adami, qui a été acceptée. Disons-le tout net, cela nous a sauvés et nous a permis d’assurer un salaire à tous les participants. Nous avons eu beaucoup de chance, tout a été fluide du début jusqu’à la fin. L’aventure a été fantastique et passionnante.

Comment avez-vous fait les choix de coupes pour l’adaptation du roman en pièce de théâtre ? 

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Anne Bouvier : Il a fallu trancher dans le vif et accepter d’être plus évasifs, voire de faire l’impasse sur certains sujets. Si l’on aborde ses relations complexes aux hommes qu’ils l’ont particulièrement malmenée, on a décidé d’éluder les parties plus glauques, plus trash de sa vie, notamment les enfants qu’elle a perdus Nous souhaitions évoquer la femme, la pianiste virtuose, la diva déchue alcoolique et « accro » aux médicaments. Bien qu’on ne pouvait pas totalement gommer le fait qu’elle ait été mal traitée par ses amants, on a voulu mettre l’accent sur ses contradictions. Malgré son talent, elle a toujours estimé qu’elle avait raté sa vie. Elle faisait du paradoxe. Elle détestait ce qu’elle était, le succès qu’elle avait, ce qu’elle chantait. Et pourtant, c’est ce qui a fait d’elle une icône à la voix unique. On s’est donc concentré sur le côté romanesque de sa vie, sa relation fictive avec Ricardo, le jeune Philippin qui sert de relais pour qu’elle se raconte. C’est d’autant plus intéressant que cette amitié, qui se construit autour de leur sentiment d’être apatride, n’a rien de sensuel, de sexuel, elle est empreinte d’admiration et de respect.

Comment s’est fait le choix des comédiens, qui n’ont que peu avoir avec les personnages qu’ils incarnent ? 

Anne BouvierIl est vrai que Valentin de Carbonières, même s’il a les yeux légèrement bridés, n’a rien d’un petit Philippin. Et Jina, n’a ni l’âge ni le physique de Nina Simone. Dès la première lecture, nous sommes partis sur une évocation du personnage. Ce qui collait parfaitement avec le propos du roman, qui conte une rencontre fictionnelle entre l’homme à tout faire et la diva. À partir de là, je me suis autorisée toutes les digressions. Si on accepte qu’une seule comédienne joue la chanteuse à différentes périodes de sa vie sans pour autant se grimer, pourquoi ne pas, par convention scénaristique, prendre un acteur qui n’a certes rien à voir avec la description du personnage, mais qui énonce qui il est, Ricardo ou un jeune journaliste. C’est un parti-pris que j’ai trouvé intéressant et que j’ai décidé d’assumer. Malgré les doutes et les angoisses, les premières représentations m’ont confortée dans ce choix.

D’où-est venue l’idée de musique live ? 

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Anne Bouvier : En créant un spectacle autour de Nina Simone, c’était évident que la musique aurait une part importante à jouer. La participation de Julien Vasnier, compagnon à la ville de Jina, a été une incidence. Flûtiste de formation, passionné de son, il a travaillé tous les arrangements musicaux alors qu’en parallèle nous faisions l’adaptation du roman. Nous étions raccord sur l’idée qu’il ne fallait pas tenter de copier le style Nina Simone, mais bien de le réinventer. Jina ayant sa propre identité vocale, il fallait suivre cette piste et donner une autre couleur à l’ensemble tout en gardant l’ambiance jazzy. Nous sommes toujours dans une évocation du personnage et non dans une sorte de biopicconforme. Je lui ai donc laissé carte blanche. La seule contrainte, voulue par Jina, c’est qu’on devait s’éloigner des standards pour favoriser les balades de la diva. Après, pour que le spectateur puisse être totalement immergé dans l’âme de cette diva hors-norme, il a été évident qu’il fallait que Julien joue live. C’est un luxe, mais c’est ce qui donne à mon avis son charme singulier à la pièce. C’est comme pour le décor. On a travaillé avec Jean Haas, mais dès le départ nous voulions une ambiance intimiste d’où l’idée de recréer une loge, qui peut aussi faire penser à une coiffeuse de salle de bain ou de chambre d’hôtel de luxe. Il suffit de jouer sur les lumières pour transformer l’espace et ainsi passer d’un univers à un autre.

Maintenant que Miss Nina Simone est repris au théâtre de l’œuvre jusqu’à la fin juillet, quels sont vos autres projets estivaux ? 

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Anne Bouvier : J’en ai pas mal. Je vais avoir un festival d’Avignon Le Off assez chargé. Je serais sur les planches du théâtre Buffon à 15h dans Mademoiselle Molièredirigée par Arnaud Denis. Puis à 21h 35, dans le même lieu, c’est à mon tour de mettre en scène la nouvelle pièce de Stéphane Guérin, Kamikazes, avec pas moins de 7 acteurs sur le plateau (Raphaeline Goupilleau, Salomé Villiers, Julie Cavanna, Pierre Hélie, Valentin de Carbonières, David Brécourt et Pascal Gautier). En parallèle, d’autres de mes créations seront reprises comme Madame Marguerite avec Stéphanie Bataille au collège de la Salle, Cantate pour Lou von Salomé de Bérengère Dautun avec Sylvia Roux à l’espace roseau teinturier, l’Ombre de la Baleine avec Mickael Chirinian à théâtre des Carmes, et Au nom du Pèze, un one man show de et avec Christophe de Mareuil, au Pandora.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Miss Nina Simone de Jina Djemba et Anne Bouvier
Pièce adaptée de Nina Simone, Roman de Gilles Leroy
(éd. mercure de france)
Théâtre de l’Œuvre
55, rue de Clichy
75009 Paris
Jusqu’au 28 juillet 2018
Du mercredi au samedi à 19H00 
Durée 1h20

mise en scène d’Anne Bouvier
avec Jina Djemba, Valentin de Carbonnières & Julien Vasnier
création et arrangements musicaux de Julien Vasnier
scénographie de Jean Haas
concepteur lumière : Denis Koransky
production : la compagnie du crépuscule

Crédit photos © Samy La Famille

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