Petits secrets, funestes conséquences

Au Lavoir Moderne Parisien, Grégoire Cuvier met la famille en pièce.

Ah ! la Famille, tout un poème, tout un drame. Plongeant en apnée dans les noirs et intimes méandres d’un foyer « catho » coincé de province, Grégoire Cuvier signe une pièce à tiroirs, à énigmes, qui séduit par sa forme labyrinthique, son récit discontinu. Certes le fil n’est pas toujours simple à suivre, mais Vestiges fureur a tout d’un bon polar, d’un huis clos étouffant, suffocant. 

La salle est plongée dans la pénombre. Des ombres envahissent le plateau. Sous leurs pas, le plancher craque. Alors qu’une lumière diffuse inonde la scène, deux femmes, l’une plus âgée que l’autre, se font face. Leurs regards sont terribles. La haine transparaît. L’image est fugace. Très vite, les autres membres de la famille apparaissent. Ce soir, la fête de Noël bat son plein. La table est dressée. Sous le sapin, les cadeaux attendent d’être ouverts.

Il y a le père, autoritaire, la mère, effacée, la tante médecin, les deux sœurs, Anne l’aînée en guerre avec le monde, Gaby la cadette, un peu fofolle, le frère Benjamin, enfant handicapé mental et pour la première fois dans le tableau trop sage de ce foyer, archétype de la bourgeoisie traditionnelle, qui lit le bénédicité à table, une inconnue, une vague cousine. Mais qui est-elle vraiment ? 

Petit grain de sable dans l’engrenage, son arrivée va chambouler l’ordre établi, déstabiliser tout l’édifice érigé par un patriarche rigide, caricature du mâle dominant. La révolte gronde. Les enfants, bridés dans leur jeu, par des règles terriblement strictes, sont à deux doigts de l’explosion. Le délitement est proche. Il ne peut être que violent. 

Passant du passé au présent, du fantasme à la réalité, Grégoire Cuvier croque avec un certain cynisme la désintégration de cette famille de notables de province. Rien n’est jamais ce que l’on croit vraiment. Les souvenirs sont-ils ceux d’enfants, d’adultes ? Impossible de dater les évènements, de suivre une chronologie. Seule certitude, le tableau est trop beau, il cache de lourds secrets, des non-dits qui à force d’être tus gangrènent l’âme. Le poison se distille lentement. Des craquelures apparaissent çà et là. Mais la terrible vérité ne se livre pas si simplement. Le drame se déguste froid. 

Avec peu de moyens, l’auteur met en scène sa propre pièce, ouvrant dans le désordre les placards qui libèrent un à un les fantômes qui hantent cette maison de famille trop bien rangée. Grâce à une belle et simple scénographie – différents miroirs ternis renvoient les images légèrement déformées d’un bonheur par trop éphémère – , un jeu de lumière jouant sur les clairs-obscurs, Grégoire Cuvier donne vie à ces personnages par bribes. Son récit kaléidoscopique, singulier attrape imperceptiblement. Jamais la tragédie n’est marquée, à peine est-elle soulignée. 

Si ce huis-clos est déroutant par la manière dont il nous est conté, il n’en est pas moins dense, cyniquement implacable. Le jeu fébrile, mais touchant, devrait prendre en force, et puissance. Un moment de théâtre singulier à découvrir au Lavoir Moderne Parisien.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Vestiges fureur de Grégoire Cuvier
Une création du Théâtre de Chair
Lavoir Moderne Parisien
35, rue Léon Paris
75018 Paris
Jusqu’au 29 septembre 2019 
Durée 1h30


Tournée 
Les 3 et 4 octobre 2019 au Magasin à Malakoff, Haut-de-Seine
Du 6 au 9 novembre 2019 au Théâtre Eurydice à Plaisir ; Yvelines 
Les 19 et 20 novembre 2019 à la Scène nationale de Saint-Quentin, Yvelines
Le 30 novembre 2019 au Théâtre de Romainville, Seine-Saint-Denis
Du 4 au 8 décembre 2019 au Lavoir Moderne Parisien, Paris
Du 8 au 12 janvier 2020 au Lavoir Moderne Parisien, Paris


Texte et mise en scène Grégoire Cuvier
Assistance à la mise en scène Claire Ducroz
Collaboration chorégraphique Dalila Belaza
Avec Annick Brard, Jean-Marc Charrier, Christophe Chêne-Cailleteau,
Marie Doreau, Lisa Leonardi, Mathilde Levesque, Marie-Anne Mestre
Scénographie Grégoire Faucheux
Création lumière Nicolas Faucheux
Création costumes Camille Pénager
Musique Max Richter et Lubomyr Melnyk

Crédit photos © Bertrand Perrin

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