Madame S

Au fil des voyages, des spectacles, des rencontres se font, des amitiés naissent. Madame S est apparu un jour de novembre.

Le soleil brille en ce début d’après-midi de novembre. Le sac en bandoulière, je m’engouffre dans la bouche de métro. Je suis en retard, comme souvent. Un dernier papier à boucler, une photo à mettre à la bonne taille, un rendez-vous à caler avec un artiste, un spectacle à caser dans un emploi-temps déjà bien chargé.

Il y a trop de monde. C’est l’heure des scolaires ou est-ce un groupe de jeunes étrangers en virée linguistique, je ne me souviens plus. Ils sont au milieu, bloquent le passage, papotent. Je m’agace un peu, puis continue mon chemin. Pas le temps de m’attarder, l’horloge tourne. Le train direction Grenoble m’attend. Gare de Lyon, je monte par deux les marches. Évidemment, ce n’est pas le bon hall. J’accélère le pas, passe les portiques, trouve la voiture m’installe. En face de moi, un petit bout de femme. Cheveux blonds bouclés, Visage fermé, elle est concentrée sur son téléphone. Le mien vibre au diapason. On vient de recevoir le même texto, on est de la même virée. On échange nos noms poliment. Rapidement, un truc se passe, comme l’impression que l’on se connait depuis mille ans. La discussion est fluide. C’est le tout début d’une belle histoire, d’une épopée magique. 

Le temps passe vite. Elle a de la faconde. Il faut dire qu’elle s’y connait. Elle en a vu des créations, des spectacles en tout genre. Elle pourrait être une bonne amie de ma mère. Elle me fait rire. Sa voix, sa manière unique, désopilante de raconter sa vie, les petites anecdotes du quotidien. C’est un bon présage. La soirée risque d’être épique. Elle le sera. Parce que c’est elle, parce que c’est moi. 

J’avais une dernière chronique à finir. J’ai, à peine eu le temps de la mettre en ligne que la gare de Gratianopolis, son nom au temps des latins, apparait derrière les vitres sombres du train. Le quai, le hall, le parvis, on suit les autres voyageurs. Une femme, un peu tassée, cigarette au bec, passe. Elle est entourée d’un petit groupe de personnes. C’est Deneuve. Il n’y a pas à dire, elle a la classe. C’est toujours amusant de se dire qu’on était dans le même train qu’une star, qu’un monstre sacré. Le non-événement, nous amuse. Il est temps de se rendre à l’hôtel, de s’installer, de se préparer pour voir le spectacle pour lequel on a fait le déplacement. L’équipée est joyeuse. La salle de spectacle, un peu moins fun. Elle est perdue au cœur de ce qui s’apparente le plus à une zone industrielle. On croise rapidement le chorégraphe. Il est anxieux. C’est soir de première. On a une petite heure devant nous. Le temps de prendre de quoi grignoter, de quoi se déshydrater. Vin rouge pour les dames, vin blanc pour moi. On disserte comme des enfants espiègles. Les piques fussent, pas méchantes, plutôt acidulées. Il n’y a pas à dire, on est en de bonnes conditions pour la suite. La création tient la route. C’est beau, élégant. On est conquis par les danseurs, des virtuoses, par l’écriture ciselée.

Ce n’est que le début. Un pot nous attend. Il sera homérique. Ma camarade est en pleine forme, remontée comme un coucou. Comme un poisson dans l’eau, elle passe d’une personne à une autre. Elle enchaîne les petites phrases. C’est délectable. Dieu que le vin est bon. Quelques petits fours, histoire de ne pas être à jeun, mais on fait attention, un repas nous attend. Il sera sur la même tonalité, merveilleusement cocasse, délicieusement facétieux. Il est temps de rentrer. Nous ne nous croiserons pas le lendemain. Chacun vacant à ses occupations. 

Pas grave, on s’est promis de se revoir, de partager à nouveau un voyage en train, une soirée, un moment. Ça ne tarde pas. On fait le même métier. Il est si facile, quoique, de se retrouver, d’échanger. Chaillot, l’Espace des arts, tant de lieu où l’on peut partager un verre, une friandise. De cette virée grenobloise, est née une amitié, un lien fait d’humour et de tendresse. Son rire, sa voix, sont reconnaissables, ils font chaud au cœur. Issue d’une famille d’artistes, elle a choisi une autre voie, mais en à garder une joie de vivre, une douce folie. Terriblement drôle, solaire, décalée, en un mot je l’adore.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © DR, © Ddeveze – Wikimedia communs et © Guy Delahaye

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