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En quête d’identité

Des escargots bien sympathiques et touchants sont à apprivoiser sans tarder.

Famille je vous aime, Famille je vous hais… C’est l’état d’esprit de la jeune et jolie Juliette. Née dans un corps de fille, elle se rêve garçon pour plaire à son père, et pourtant dans sa peau, dans son âme, elle se sait femme. C’est toute cette ambiguïté sexuelle sur son identité qui a marqué son adolescence qui sert de sel à cette chronique familiale où la jeune femme se livre sans fard, sans filtre. Egratignant de sa plume vive, simple, les préjugés, rêvant d’un monde meilleur, elle vibre sensible, fragile et forte dans une inventive mise en scène de Charles Templon. Accompagnée de l’excellent Andy Cocq, Juliette Blanche se raconte et nous touche en plein cœur … terriblement humaine !…

Un immense drap blanc cache la scène. Dessus est imprimée la photo en noir et blanc d’un garçon, celle qui sert de visuel au spectacle. Les traits du jeune homme sont familiers, ils rappellent ceux de la comédienne et auteure, Juliette Blanche. Alors que la salle plonge dans l’obscurité, sur scène, en ombre chinoise derrière ce rideau de fortune, une silhouette gracile, fine, apparaît. D’un geste vif, elle décroche le fin rideau. Jean taille haute, tee-shirt blanc, cheveux châtains, bouclés, la jeune femme au physique androgyne se plonge dans ses souvenirs d’enfant et raconte l’histoire de sa famille. Elle a 9 ans quand sa mère, femme qui cache ses sentiments derrière une froideur mesurée, fumeuse invétérée, lui annonce que son père était déçu à sa naissance car il aurait préféré un garçon.

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De cet étrange moment, la fillette gardera un goût singulier qui marquera à jamais son existence. Si son corps est celui d’une fille, que cela ne tienne, pour faire plaisir à son père qu’elle aime par dessus tout elle sera un garçon. Sans le vouloir, influencée par sa meilleure amie, sa mère va confirmer cet état de fait en lui faisant couper les cheveux courts. Nez allongé, visage anguleux, corps sec et musculeux, Juliette est souvent prise pour un garçon. Comment alors ne pas franchir le pas ?

C’est cette ambiguïté sexuelle et cette interrogation sur ce qu’elle est vraiment, sur sa place de cadette au sein d’une fratrie de trois filles, qui vont construire sa personnalité, son moi adulte. Pas à pas, la lumineuse comédienne nous entraîne dans un parcours initiatique sombre et complexe. Elle nous guide dans les méandres de l’identité sexuelle et du rapport aux autres. Fougueuse, fonceuse, provocatrice, rien ne l’arrête, ni les chemins sans issus, ni ceux de traverse, ni les déceptions, ni les rebuffades. Fragile d’apparence, elle se révèle forte, puissante, terriblement sensible.

S’inspirant de sa vie, Juliette Blanche se met à nue dans ce spectacle. Elle livre ses secrets, ses doutes, ses peurs avec pudeur et tendresse, l’amour inconditionnel qu’elle porte à son père, les rapports complexes qu’elle entretient avec sa mère, les liens singuliers avec ses sœurs, et son rapport aux autres. De son écriture vive, fine, elle signe un portrait de famille touchant et vibrant. Jouant des ruptures, mêlant apartés et dialogues, la jeune auteure s’attache à l’intime pour mieux aller vers l’universel, chacun se retrouvant à un moment ou un autre dans cette pièce qui parle de la vie, de ses joies, de ses peines, de sa complexité.

Soulignant la belle rythmique du texte, la mise en scène de Charles Templon s’avère efficace et ingénieuse. Toujours dans le mouvement, évitant les clichés, elle est au diapason des sentiments de la jeune femme, toujours à la frontière émotionnelle entre rire et larmes. Avec peu d’accessoires et une scénographie particulièrement maline, le jeune homme suggère les différents espaces où se jouent les moments clés de ce drame familial. De main de maître, il dirige magnifiquement les deux comédiens.

Drôle, émouvant et extraverti, Andy Cocq s’amuse des genres et des sexes. Aussi crédible dans le rôle du père sensible, que de la mère distante, il passe avec virtuosité de l’un à l’autre. Rayonnante, Juliette Blanche captive. En interprétant son propre rôle, elle se libère de la tragédie familiale, de ses doutes, de ce poids invisible qui l’a suit depuis son enfance. De cette expérience salvatrice, elle en sort grandie, sereine, épanouie. Qu’elle soit hétéro, bi ou homo, au fond peut importe, après une heure passée en sa compagnie, on l’aime cette émouvante et passionnée Juliette. Vivante, humaine, elle réchauffe nos cœurs et touche nos âmes… En un mot, bouleversante !…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


AFFICHE _Escargots_AVIGNON_WEB_@loeiodoliv

Les escargots sans leur coquille font la grimace de Juliette Blanche
Lavoir moderne Parisien
35 rue Léon
75018 Paris
Reprise dans une nouvelle version du 22 au 26 novembre 2023.
Du mercredi au samedi à 19h, dimanche à 15h.
Durée 1h15.

Festival OFF d’Avignon
Théâtre de la Luna
1, rue Séverine
84000 Avignon
jusqu’au 31 juillet 2016 à 11h45
durée 1h05

Mise en scène de Charles Templon assisté de Florian Jamey
avec Andy Cocq et Juliette Blanche
La compagnie Compagnie

Crédit photos © Matthieu Dortomb & Benjamin Colombel

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