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Laïka, portrait caustique d’une humanité à la marge

Au Rond-Point, Asciano Celestini donne un visage aux humbles, à ceux qui vivent en lisière du monde.

Le débit est rapide, cadencé. Le verbe haut, acéré, incarné. Le propos lucide, poétique, engagé. En offrant une tribune aux déclassés de la société, aux prolétaires, à ceux qui sont en bas de l’échelle sociale, Ascanio Celestini, par le truchement de l’excellent et habité David Murgia, signe un spectacle coup de poing, un brûlot caustique, tendre, et donne un corps de chair et de sang à ceux de l’ombre. Incandescent !

Qui est-il ce jeune homme, à la tignasse brune, à laquelle silhouette chétive emprisonnée dans un pardessus noir qui investit la scène de la salle Jean Tardieu au théâtre du Rond-Point ? Un ange déchu ou un messie paumé. Difficile à dire, tant il incarne, tour à tour, une multitude de personnages, tous en marge d’une société qui refuse de voir le monde d’en bas. Du jeune SDF qui dort dans votre rue, que vous ne voyez pas et qui préfère noyer son triste quotidien dans le vin rouge, à la vieille dame généreuse, mais un peu trop bigote qui cherche ,en vain ,dieu au cœur de la cité HLM, en passant par celle guère plus jeune dont le cerveau est complétement embrouillé, aux ouvriers noirs qui rêvent d’égalité, mais que d’autres vont remplacer, car moins contestataires, à la prostituée défraîchie qui offre un peu de chaleur aux déshérités de la terre, tout ce microcosme, encadré par des flics un brin susceptibles et enragés, donne de la voix et clame sa déshérence, sa réalité sombre.

LAIKA_Rond_Point_©DominiqueHoucmant-Goldo-DSC03151_@loeildoliv

De sa plume poétique, ciselée, Ascanio Celestini dépeint une vie de quartier défavorisé. Répétant certaines phrases, revenant en boucle sur certaines assertions pour mieux les faire entendre, rebondir sur d’autres, ancrant son récit dans une vérité palpable, tangible, il esquisse avec tendresse, empathie, le portrait mordant du prolétariat d’aujourd’hui, d’hier et de demain. Avec peu de décorum, quelques cageots de plastique empilés, quelques lampes posées çà et là, il entraîne le spectateur au plus près du cœur palpitant de ce peuple coincé entre un supermarché sinistre, un immeuble terne et une usine à l’arrêt. Avec beaucoup de subtilité, il tend à chacun un miroir qui offre une vision lucide, abrasive de ce que l’on est, de la société dans laquelle on vit. Loin des beaux quartiers, invoquant Dieu, le Che, Gandhi ou Stephen Hawkins, il offre un visage à ces humbles, ces « petites gens ». Sans pathos, ni sensiblerie, donnant à sa verve, à son verbe, un ton humain, empli d’amour, d’humour, il nous convie à une rencontre rare et bouleversante.

LAIKA_rond_Point_©DominiqueHoucmant-Goldo-FU5A3688_@loeildoliv

Pour marquer nos consciences, les faire réagir, il fallait un comédien d’une rare intensité, qui s’approprie magistralement ces propos, ces maux. C’est le Belge David Murgia qui s’y colle avec une dextérité rare, une profondeur touchante. Présence enflammée, ton ardent, vif, il se glisse dans la peau du narrateur ainsi que dans celle de tous ses personnages et leur donne une densité, une véracité. Accompagné à l’accordéon par le remarquable Maurice Blanchy, il vibre avec une sincérité troublante qui attrape, saisit.

Partant de l’histoire de Laïka, cette petite chienne, bâtarde envoyée dans l’espace pour tutoyer les étoiles, sans retour possible, qui donne son nom au spectacle, Ascanio Celestini signe un moment de théâtre rare, un spectacle engagé, enragé qui gêne aux entournures et oblige à regarder le monde dans son entièreté, l’humanité droit dans les yeux.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


AFF_02_laika_1000_1000_© Stephane Trapier_@loeildoliv

Laïka d’Ascanio Celestini
Théâtre du Rond-Point – Salle Jean Tardieu
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Jusqu’au 10 novembre 2018
du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à15h30
durée 1h15

mise en scène de Ascanio Celestini
Traduction de Patrick Bebi
Avec David Murgia
Avec la voix d’Yolande Moreau
Accordéon : Maurice Blanchy
Composition musicale de Gianluca Casadei

Crédit photos © Dominique Houcmant-Goldo

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