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La nostalgie du futur ou les pensées pasoliniennes à l’épreuve du présent

Au TnBA, Catherine Marnas livre sa vision de Pasolini, l'homme, l'artiste, dans La Nostalgie du futur.

Que disent les écrits, les films, les réflexions de Pier Paolo Pasolini sur notre monde actuel, sur celui de demain ? Confrontant sa vision de l’œuvre du poète et cinéaste italien à celle du philosophe Guillaume Le Blanc, Catherine Marnas invite à questionner notre société, son repli sur elle-même, son incapacité à enrayer les catastrophes à venir. Avec lucidité et tendresse, elle signe un ovni théâtral déroutant et poétique, sorte de kaléidoscope en surimpression de lendemains inquiétants.

Sur des grands pans de tissus gris servant de cadre à l’espace scénique, une fresque romaine antique laisse entrevoir les visages figés d’une Italie – d’une Europe – scrutant impassible, anxieuse son avenir. Au sol, les vestiges d’une barque échouée depuis longtemps sur une grève de bois, qui rappelle les côtes méditerranéennes où chaque jour ,des embarcations de fortune déposent un flot de migrants fuyant la guerre, la persécution, l’horreur, évoquent cette fameuse plage d’Ostie, où dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini perdit la vie, assassiné pour son homosexualité revendiquée et pour ses prises de position brocardant l’esprit bourgeois d’une société transalpine consumériste et puritaine.

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D’ailleurs, ce n’est pas un hasard, si tout commence par un corps-à-corps entre deux hommes, une bagarre sur le sable, un combat entre deux mondes, celui d’hier et celui d’aujourd’hui, celui lucide, éclairé de Pasolini et celui étriqué des nouveaux bienpensants. La mort rode avide de sang, réveillant la bête humaine conformiste et identitaire qui refuse, nie, éradique tout droit à la différence. Les journaux sont pleins de ces actes de violences inouïes, de ces agressions gratuites, brutales. Si l’évocation de la fin tragique du cinéaste italien saute aux yeux, ce préambule est aussi une reconstitution théâtralisée d’une scène emblématique de son premier film Accattone, sorti en 1961, dont des images projetées sur les murs de toile en soulignent toute la force réaliste, la puissance suggestive. Conçue comme une boucle temporelle, cette saynète marquant le début et la fin de Pasolini agit comme un mantra, une résurgence de sa pensée à l’aune de l’actualité sociale et politique d’aujourd’hui. Attention ! Le monde, a-t-il évolué en 43 ans ? Qu’a-t-on retenu ? Va-t-on éviter l’infernal et imminent cataclysme ?

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Depuis 2002, où elle avait adapté Premier conte sur le pouvoir, un roman du poète italien, Catherine Marnas ne cesse d’interroger son travail, sa conscience, ses idéaux au regard de la pensée pasolinienne. La vision du monde, pessimiste autant que radicale, lucide autant qu’onirique de l’artiste transalpin, entre en résonnance avec ses propres interrogations, obsessions, intuitions. C’est donc avec une bienveillance complice qu’elle se livre à l’exercice fastidieux et complexe de rapprocher l’œuvre de celui qu’elle appelle son « Jiminy cricket » – autant dire son ange gardien, sa bonne conscience – à l’évolution de nos sociétés.

Par pudeur autant que par délicatesse, elle ne s’aventure pas seule sur ce chemin semé d’embûches où la certitude des uns, image manichéenne d’un homme sulfureux, se confronte avec une toute autre représentation, plus douce, plus humaine d’un être de chair certes un brin misanthropique, mais profondément vivant, vibrant. Pour transposer donc cette foisonnante réflexion, l’ambiguïté de ce personnage singulier autant que taciturne, la metteuse en scène a proposé au philosophe Guillaume Le Blanc de l’accompagner dans cette démarche, ce dialogue unique et troublant avec Pier Paolo Pasolini.

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Si l’on se laisse emporter par la magie de la scénographie, particulièrement léchée de Carlos Calvo, par l’originalité de cette pièce mosaïque, qui loin de se cantonner à un simple hommage, interroge en creux la place d’une œuvre, l’état d’une pensée dans une actualité qui tend malheureusement à lui donner raison, la greffe entre l’univers de Catherine Marnas et celui de Guillaume Le Blanc n’a pas encore totalement pris. Quelques flottements, quelques incongruités, sortent, pour de brefs instants, le spectateur de cette immersion étrange et interrogative au plus près d’une conscience, d’une urgence, d’un songe qui parle autant d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Jouant sur les formes, les styles, passant de la reconstitution minutieuse de certaines scènes mythiques du cinéma pasolinien à l’improvisation, du théâtre antique ou 7e art, la metteuse en scène entraîne le public dans une ronde onirique et vertigineuse, qu’on aurait aimé voir attendre et finir son apogée quand le chœur des comédiens entonne d’une seule voix la vision d’un homme, d’un artiste engagé. Malgré tout, cette Nostalgie du futur a atteint son but, nous pousser à réfléchir, à ouvrir les yeux, à ne pas pleurer le passé, mais à voir en lui un moyen d’agir, de construire un présent différent, un avenir plein de promesses.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux


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La nostalgie du futur d’après des textes de Pier Paolo Pasolini et de Guillaume Le Blanc
Dans le cadre du FAB – Festival international des arts de Bordeaux Métropole
TnBA -Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine
Salle Vauthier
3 Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
Jusqu’au 25 octobre 2018
Du mardi au vendredi à 20h et le samedi à 19h
Durée estimée 1h35

Tournée
Théâtre Olympia, CDN de Tours
Du 06 au 10 novembre 2018

Nord-Est Théâtre, CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est
Du 14 et 15 mai 2019

Mise en scène Catherine Marnas assistée en alternance par Rita Grillo et Odille Lauria
Avec Julien Duval, Franck Manzoni, Olivier Pauls, Yacine Sif El Islam, Bénédicte Simon
Scénographie de Carlos Calvo
Son de Madame Miniature assistée de Jean-Christophe Chiron
Lumières de Michel Theuil assisté de Clarisse Bernez-Cambot Labarta
Conception et réalisation des costumes : Edith Traverso assistée de Kam Derbali Création vidéo de Ludovic Rivalan assisté d’Emmanuel Vautrin
Régie plateau : Cyril Muller
Construction décor : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Chef constructeur décor : Nicolas Brun
Régisseur général : François Borne

Crédit photos © Sébastien Husté

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