La crudité perverse du libertinage

Avec Liberté, Albert serra plonge dans le stupre du XVIIIe siècle libertin.

Les mots sadiques, vicieux, éveillent les sens, titillent notre part d’ombre, de débauche. Les images, belles, oniriques, crues, fascinent. En s’attachant à retranscrire à l’écran une nuit de libertinage sadien, Albert Serra réussi l’exploit de signer une œuvre esthétiquement magnifique mais à l’ennui lancinant. Dommage.

La nuit enveloppe doucement une forêt abandonnée au cœur de la Prusse de Frédéric II. D’étranges créatures perruquées rôdent, se croisent, se jaugent, s’accouplent parfois. Une voix off masculine, troublante, conte avec délectation le supplice de Damiens, condamné pour crime de lèse-majesté contre la personne sacrée de Louis XV. Avec fascination, suavité, il décrit les chairs qui se déchirent, les os qui se rompent, le visage déformé par l’intolérable douleur. C’était le bon temps, celui de la débauche effrénée, des plaisirs de la chair maltraitée, violentée, de la sexualité sado-masochiste. 

L’arrivée de Louis XVIau pouvoir a mis au ban de la société, a obligé à l’exil cette aristocratie ivre de libertinage. Perdus aux yeux du monde, ces nobles pervers, ces belles dames cherchent refuge en Allemagne et des appuis pour continuer en toute liberté leurs commerces charnels, vicieux. Mais l’air du temps est à la morale, à la vertu, faire triompher leurs idées semblent de l’ordre de l’impossible. Qu’à cela ne tienne, les sous-bois à peine éclairés par les bougies et la lumière crépusculaire d’une Lune timide, réveillent leurs sens, leurs goûts de faire mal, d’humilier, de jouir de tout, même de la violence. 

Le langage est cru, direct. Les sévices décrient avec raffinement afin de titiller l’imaginaire. Rien ne doit être épargnée aux jeunes pensionnaires du couvent voisin venues offrir leur virginité sur l’autel de la dépravation, d’une sexualité sans contrainte, d’une jouissance exacerbée par la douleur. Avec un esthétisme rare, naturaliste, Albert Serra adapte sa pièce Liberté au grand écran. Les images de ces chairs flagellées, de ces corps offerts, impudiques, parfaits autant que décrépis, de ces ducs gâteux poudrés – la présence surannée d’Helmut Berger fait planer sur le film une saveur de luxure, de bacchanale – , de ces belles aux rondeurs suggestives, fascinent, captivent autant qu’elles répugnent. 

Malheureusement à trop étirer les longs plans séquences parfois érotiques, souvent juste évocateurs de la vacuité de ces gens de cour loin de leur zone de confort, Albert Serra noie son propos et perd l’attention des spectateurs. L’ennui gagne la salle. Certains finissent par partir. D’autres plus aventureux, plus curieux, hésitent, puis restent pour voir jusqu’où le réalisateur catalan pousse le vice, questionne notre rapport à la sexualité dans un monde faussement puritain qui se referme sur d’archaïques pruderies. 

Tout comme dans son dernier long-métrage La Mort de Louis XIV, la beauté des tableaux ensorcèle, accroche. Mais cela ne suffit pas à convaincre, à saisir. Le temps s’allonge ici à l’envi, l’engourdissement gagne quelque peu la concentration. Prenant pourtant des chemins parallèles à la Grande Bouffe de Marco Ferreri, louchant sur l’œuvre de PassoliniLiberté laisse certes un goût de stupre mais trop doucereux, faussement sulfureux. Le scandale n’est pas au rendez-vous, le bourgeois n’est pas choqué, juste lassé. Seul le regard précis d’esthète d’Albert Serra magnifie la pellicule avec ses clairs-obscurs sublimes, sans pour autant y imprimer une dimension autre que plastique.  

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Liberté d’Albert Serra
Sortie nationale le 4 septembre 2019
Avec Helmut Berger, Marc Susini et Iliana Zabeth

crédit photos © Filmgalerie 451

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