Évocations kaléidoscopiques de la guerre d’Algérie

Au II. Gilgamesh Belleville, Margaux Eskenazi et Alice Carré revivent la guerre d'Algéri.

Faisant leur devoir de mémoires, Margaux Eskenazi et Alice Carré plongent dans les récits de vie de leur grands-parents, de leur proches, de figures tutélaires de l’histoire et explorent autrement la guerre d’Algérie, ses conséquences sur les âmes, ses blessures secrètes jamais refermées. Porté par une troupe de jeunes comédiens virtuoses, ce témoignage à travers le temps, drôle autant que bouleversant, fascine et saisit. 

Lors d’un prologue assez didactique, les sept comédiens se présentent et, par souci de clarté, exposent par le menu la démarche documentaire qu’ils ont suivie, ainsi que les rôles principaux qu’ils vont interpréter. Explorant la mémoire de leurs aïeuls, les replongeant au cœur de la guerre d’Algérie, ils esquissent un récit patchwork fait de bribes de souvenirs. 

Rapidement tout s’efface, pour ne laisser place qu’à une succession de saynètes, toutes plus réalistes les unes que les autres. Construite comme une machine à remonter le temps, la pièce de Margaux Eskenazi et Alice Carré entraîne le public au cœur du conflit, de la mémoire des hommes, des femmes qui l’ont vécu dans leur chair, dans leur âme. Quel que que soit leur camp, leurs convictions, elles s’approprient leurs histoires, leur donnent corps avec énergie et virtuosité.

Qu’il soit déserteur pour refuser de torturer les prisonniers, qu’il soit harki obligé de quitter son pays pour s’installer dans un camp caché, loin de la ville, qu’elle soit femme en quête de rencontre dans un Alger insouciant ou avocate, refusant de voir l’horreur de la guerre, c’est un peu de tout cela qui défile devant nos yeux. Mais c’est aussi l’après, la vie dans les cités HLM où les ennemis d’hier sont les voisins d’aujourd’hui, les réunions d’anciens combattants, où les tensions d’avant ressurgissent, les plaies jamais refermées se rouvrent avec violence. 

Attrapant le public, l’emportant dans un flux incessant d’images, de tableaux, de récit, Margaux Eskenazi et Alice Carré explorent souvenirs, documents et fables familiales, leur donnent une consistance, une matérialité qui prend aux tripes, secoue. 

Virevoltante, la mise en scène de Margaux Eskenazi vient souligner l’effet kaléidoscopique du texte. Elle lui donne une énergie, une vitalité qui évite de s’appesantir. Balayant plus de 50 ans d’histoire, sans jamais perdre l’attention du public, elle passe d’une fête arrosée dans un camp militaire au début des années 1960, au discours enflammé d’Assia Djebar pour son entrée à l’académie française en 2006. 

Empruntant au poète Kateb Yacine, ses mots pour titrer cette œuvre nécessaire, les deux autrices signent une fresque passionnante qui doit beaucoup au talent des comédiens, à leurs natures tragiques autant que comiques. Loup Balthazar est une magnifique passionaria volontaire ; Yannick  Morzelle est épatant en officier borné ; Eva Rami époustouflante est en dame patronnesse ; Raphael Naasz énormissime en vétéran traumatisé ; pour ne citer qu’eux. Tous excellents, ils font le sel de ce spectacle fleuve, véritable coup de cœur avignonnais. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon


Et le cœur fume encore de Margaux Eskenazi et Alice Carré d’après les textes de Édouard Glissant, Kateb Yacine, Assia Djebar et Jérôme Lindon
Festival d’Avignon le OFF
11. Gilgamesh Belleville
11, boulevard Raspail
84000 Avignon 
Jusqu’au 26 juillet 2019 à 18h05
Durée 1h45


Reprise 
Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis Cedex
Du 6 au 19 décembre 2019


Mise en scène : Margaux Eskenazi
Avec Armelle Abibou, Loup Balthazar, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami
Collaboration artisitique d’Alice Carré
Régie lum&vidéo de M.Flores 
régie son de J.Martin 

Crédit photos © Loi Nys

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