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Die kabale der scheinheiligen…, les adieux flamboyants de Castorf à la Volksbühne de Berlin

Au parc des expositions, Frank Castorf réinvente la vie de Molière et interroge sur le théâtre d'aujourd'hui dans Die Kabale der scheinheiligen.

Evincé par la ville de Berlin de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-platz au profit du directeur de la Tate modern, Frank Castorf rend les armes avec panache et rancœur mesurée. S’interrogeant sur les rapports complexes entre artiste et pouvoir, il revisite magistralement Le Roman de Monsieur de Molière de Boulgakov dénonçant avec ingéniosité l’appât du gain aux dépens de la créativité.

Sous l’immense nef de bois du parc des expositions, rappelant le chapiteau d’un cirque, Frank Castorf nous invite à redécouvrir le théâtre d’antan, celui de Molière, de Boulgakov, celui engagé qui dénonçait les dérives du pouvoir, qui dépeignait les travers des sociétés. Il nous entraîne dans une course effrénée où se confrontent passé et présent, où Louis XIV et Staline imposent leur vision du monde aux artistes récalcitrants, aux auteurs un peu trop libres, où les décideurs préfèrent la rentabilité à la créativité, le politiquement correct aux tons satiriques, caustiques des nouveaux dramaturges.

Die-Kabale_Castorf_Avignon_2_©Christophe-Raynaud-de-Lage_@loeilodliv

Mêlant avec habilité et férocité textes de Molière, de Boulgakov et ses ressentis, ses interrogations sur le monde culturel d’aujourd’hui, Frank Castorf signe une pièce fleuve corrosive, âpre qui met en lumière l’étrangeté, l’ambiguïté et la complexité des rapports entre pouvoir et artiste. Bien sûr qu’une pointe d’amertume et de nostalgie se dégage de ce spectacle d’adieu, mais c’est avant tout la réflexion passionnante et salvatrice d’un homme de théâtre délivré de toutes contraintes.

S’affranchissant des codes, laissant libre court à l’improvisation, enrichissant cette évocation de la vie de Molière par des insertions de textes empruntés à Corneille, Racine et Fassbinder, il esquisse un show monstre alliant comédie et tragédie, entremêlant vidéos « live » et performances. Emportant nos réticences, captivant nos attentions, au-delà des cris, au-delà de la langue, il fait et défait l’histoire. Passant de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin à la censure imposée par Staline aux auteurs russes et notamment à Boulgakov, des ors de la chambre du roi estampillée Louis-Vuitton et couronnée d’une médaille siglée Versace au salon rococo où les beaux penseurs et les peu amènes censeurs croisent les mots et les idées, Frank Castorf défie conformisme, rentabilité et étatisme borné. Défendant son art corps et âme, il signe une pièce brûlot qui rend hommage à Molière, brise les conventions et lutte contre la pensée unique. Réveillant nos consciences d’une pirouette un brin acrimonieuse, il offre en guise d’adieu à la Volksbühne un spectacle grandiose, féerique, un maelström scénique délirant, virtuose, où l’art dramatique est libéré de ses chaînes et de ses règles.

Die Kabale_Castorf_Avignon_©Christophe Raynaud de Lage_4_@loeilodliv

Si parfois le metteur en scène allemand se perd entre digressions et introspections, usant et abusant de la vidéo, nous perdant dans les méandres du temps, il sait attirer nos regards, nous entraîner dans ses pensées afin d’ouvrir nos esprits au monde qui nous entoure. S’entourant de ses comédiens fétiches, dont la lumineuse Jeanne Balibar, le fascinant Alexander Scheer, qui se prive pas d’haranguer les retardataires quitte à dévier de son texte, et l’épatant Jean-Damien Barbin, Frank Castorf, après 25 ans de bons et loyaux services durant lesquels il a redoré le blason de l’institution berlinoise, tire magistralement sa révérence. Chapeau l’artiste !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Avignon


Die kabale der scheinheiligen, das leben des herrn de Molière de Frank Castorf
Festival d’Avignon
Parc des expositions
Chemin des Felons
84140 Avignon
jusqu’au 13 juillet 2017
durée 5h45

Textes de Mikhaïl Boulgakov, Pierre Corneille, Rainer Werner Fassbinder, Molière et Jean Racine
Traduction de Thomas Reschke
Mise en scène de Frank Castorf
Dramaturgie de Sebastian Kaiser
Musique de Sir Henry
Scénographie d’Aleksandar Denic
Lumières de Lothar Baumgarte
Vidéo d’Andreas Deinert, Mathias Klütz, Kathrin Krottenthaler
Son de Klaus Dobbrick, Tobias Gringel
Costumes d’Adriana Braga
Avec Jeanne Balibar, Jean-Damien Barbin, Frank Büttner, Jean Chaize, Brigitte Cuvelier, Georg Friedrich, Patrick Güldenberg, Sir Henry, Hann Hilsdorf, Rocco Mylord, Sophie Rois, Lars Rudolph, Alexander Scheer, Daniel Zillmann

Spectacle créé le 28 mai 2016 à la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin)

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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