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Déshonorée, une tragédie glaçante et ampoulée

Dans Déshonorée, Alfredo Arias nous invite au cœur des geôles argentines après la chute du régime péroniste.

Sombre, suffocante est l’atmosphère de ce huis-clos carcéral, de cette garde-à-vue inquisitoire. Lumineux, sépulcral est le visage d’Alejandra Radano qui prête sa voix chaude et son visage à Fanny Navarro, passionaria péroniste oubliée de tous, victime de l’épuration après la chute du régime qu’elle a soutenu. Inquiétant, angoissant est l’interrogateur public interprété par Marco Montes. Par ce ballet d’ombres effrayant, Alfredo Arias livre sa vision d’une Argentine passionnée, furieuse, fanatique, vindicative et vengeresse. Bien qu’intense, le propos se noie dans des volutes et des arias superflues et malheureuses…Dommage.

Rideau ouvert sur une scène presque vide, le public est invité à s’installer, témoin silencieux du drame qui va se jouer devant leurs yeux. Entourée de murs sinistres, peints en noir et blanc, une table immense grise, unique élément de décor, trône centrale, massive, impériale. Dans une lumière sépulcrale, une femme s’avance. Brune, cintrée dans un manteau noir, outrancièrement maquillée et perchée sur des talons vertigineux, c’est Fanny Navarro (bouleversante Alejandra Radano), starlette argentine oubliée, amie de la défunte Evita, proche du pouvoir péroniste déchu. Elle vient d’être arrêtée brutalement pour être interrogée par les commissions d’épuration mise en place par le nouveau régime dictatorial.

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Frêle, fragile, elle reste droite, digne face à l’inquisiteur public, le capitaine Gandhi (trouble et menaçant Marco Montes). Comédienne jusqu’au bout de ses ongles carmins, elle joue à merveille le rôle de la femme bafouée, humiliée dont la seule défense est l’honnêteté, sa foi fanatique et ses croyances en Juan Péron. De tous les maux dont on l’accuse, elle se défend avec fougue. Victime collatérale d’un régime à jamais perdu, elle est l’unique symbole encore vivant et atteignable. Il faut l’abattre, l’humilier, la rabaisser. Pour cela, tous les moyens sont bons. Avec un malin plaisir, une froideur glaçante, une folie fanatique et perverse, le capitaine Gandhi va pousser cette femme au charme suranné, à la beauté cinématographique, dans ses plus intimes retranchements, blessant son âme et broyant son cœur.

En s’intéressant à cette figure oubliée du régime péroniste, héroïne tragique ressuscitée par la plume cinglante et passionnée de Gonzalo Demaria, Alfredo Arias croque l’Argentine de son enfance, un pays à feu et à sang où les régimes dictatoriaux se succèdent, où les fanatiques de tout bord s’affrontent avec hargne et cruauté. Riche de ses souvenirs d’enfance, Il peint une Bueno-Aires aux prises avec son passé, avec ses démons, où se côtoient les ors et les paillettes d’Evita et la violence crasse des militaires. Hantée par ses fantômes lumineux traqués par des tortionnaires sadiques, la ville vibre, pleure et saigne terriblement vivante. Elle est incarnée avec passion par Alejandra Radano. Port de reine, regard noir charbonneux, elle s’identifie intensément à cette starlette avilie par les mensonges et les réalités tronquées, et se fond ardemment dans cette ville salie mais toujours digne. La comédienne argentine prête aussi son timbre de voix légèrement éraillé, teinté de l’accent chaleureux de son pays natal. Diva déchue, militante écartée, amie délaissée, amante trompée, elle entonne avec ferveur l’hymne national, avant de se laisser submerger par l’émotion en chantant son amour pour Evita, et pour son amant Juan Duarte, le frère de cette dernière. Elle frissonne de tout son être terriblement humaine, délicate.

DESHONOREE-Alfredo-Arias-photo-©Fred-Goudon-11_@loeildoliv

Face à elle, Marco Montes, vêtu d’un pardessus sombre, étriqué, se glisse avec un plaisir pervers dans le rôle du bourreau, de l’inquisiteur. Parfaitement inhumain, toréro de l’âme, il aiguillonne sa victime, lui plante avec vice des banderilles empoisonnées au plus prêt du cœur. Sombre homme, il devient au fil de la pièce un terrifiant tortionnaire aux névroses aliénantes. Avide de sang, la folie meurtrière le guette. Il s’insinue dans les moindres failles blessant à mort sa proie.

Pourtant cette cruelle et intense tragédie ne prend pas. Le spectateur reste en dehors du drame incapable de s’attacher à cette femme impérieuse, sûre de ses droits, de ses privilèges. Est ce parce que la pièce est trop noire, presque emphatique ? Est ce parce que malgré leur talent les comédiens de langue maternelle espagnole trébuchent sur les mots de ce texte trop dense dont ils ont bien du mal à se détacher ? Est ce parce que les arrangements sonores superflus gâchent l’émotion du trémolo vocal ? Certainement, un peu de tout cela. Dommage, tant on est séduit par l’esthétisme sombre de la scénographie et pris à la gorge par la force sensible et passionnelle des deux interprètes.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


deshonoree_Alfredo_Arias_affiche-585_© stephane_trapier_Atalante_Paris_@loeildoliv

Déshonorée de Gonzalo Demaría
Théâtre du Rond-Point – salle Jean Tardieu
2 bis, avenue Franklin Delano Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 19 Juin 2016
du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h30 – relâche les lundis
Durée 1h10

adaptation et mise en scène d’ Alfredo Arias assisté par Olivier Brille
coadaptation de René de Ceccatty
avec Marcos Montes et Alejandra Radano
scénographie d’Alfredo Arias avec la collaboration d’Elsa Ejchenrand
arrangements musicaux de Diego Vila
costumes de Pablo Ramirez
lumières de Gonzalo Cordova
son de Thierry Legeai

Crédit photos © Fred Goudon / Crédit illustration © Stéphane Trapier

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