Des nouvelles de la Scène Parisienne

Après la crise des Gilets jaunes et le Covid, Nikos Talbi Lykakis, directeur de la toute jeune Scène Parisienne, croît définitivement en l'avenir.

TLSP, le Théâtre La Scène Parisienne, a ouvert ses portes le 12 septembre 2019. Ce lieu, refait à neuf et qui offre une programmation variée et audacieuse, a vu son essor freiné par la crise des Gilets Jaunes puis la grève des transports et totalement mis à l’arrêt à la suite de la pandémie du Covid-19. Néanmoins, son directeur, Nikos Talbi Lykakis garde tout son optimisme et sa confiance en l’avenir.

Qu’est-ce qui a impulsé votre désir d’avoir un lieu ?

Nikos Talbi Lykakis : A l’origine, il y a la création de la société Coq Héron Productions en 2016. J’ai très vite, compris que la chaîne de valeur de cet univers se répartissait de la sorte : production, exploitation et diffusion. Comme on ne peut pas toujours faire cela tout seul, il faut créer des alliances avec des gens qui savent de quoi ils parlent. Je me suis rapproché de partenaires, déjà plus installés, comme Atelier Théâtre Actuel Ou d’autres qui se sont occupés de la diffusion, des coproductions…  J’ai fait ça avec plus ou moins de bonheur. En l’espace de quatre ans, j’ai eu quelques spectacles, comme La PeurLe jeu de l’amour et du hasardTrahisons qui ont marché assez vite. Puis la nécessité d’avoir un lieu à soi s’est imposée, oui mais comment faire sans gros moyens ?…

Donc il était nécessaire de posséder un théâtre…

Nikos Talbi Lykakis : Il me semblait important d’avoir un environnement à 360 degrés et pour cela avoir les moyens de cette ambition. Mais quand on voit le prix d’un théâtre, on se dit que cela ne va pas être possible. C’est alors que la vie se montre parfois généreuse et jalonne ton chemin de belles opportunités. Dans mon cas, ce fut la rencontre avec Christophe Février, un capitaine d’industrie qui a rapidement adhéré au projet et investi dans Coq Héron Productions

Christophe Février, à la tête des Manufactures Février, est donc devenu votre associé…

Nikos Talbi Lykakis : C’est plus qu’un associé, c’est un partenaire qui a une vraie vision transversale. Ce groupe industriel, engagé dans une démarche sociale et solidaire, était déjà impliqué dans l’audiovisuel, la culture et le sport.  Investir dans un théâtre, correspondait aux valeurs défendues par le groupe. Lorsque l’occasion s’est présentée de reprendre l’ancien théâtre Les Feux de la rampeChristophe Février a largement contribué à rendre le rêve réalité…

Et en septembre vous ouvrez un lieu tout beau, tout neuf

Nikos Talbi Lykakis : Nous avons entrepris de gros travaux d’embellissement. Faire partie d’un tel groupe, c’est la possibilité d’utiliser les ressources, les compétences et le savoir-faire des Manufactures Février dans lesquelles opèrent différents corps de métiers liés au bâtiment et à la rénovation. Cela a permis de mettre notre touche, de créer notre identité visuelle, graphique. Comme je suis arrivé avec une casquette de producteur, je voulais continuer à produire et programmer ce qui me touche. J’ai une appétence pour le spectacle pluridisciplinaire et je suis curieux de beaucoup de formes artistiques : danse, musique, théâtre. J’imaginais que l’on puisse faire un mélange des genres heureux, d’avoir une proposition différente qui n’aurait plus rien à voir avec la programmation de l’ancien lieu afin de nous démarquer radicalement. Je voulais avoir un regard sur les choses que j’allais mettre à l’affiche, trouver une sorte de cohérence. En quelques mois, nous avons pu présenter une programmation assez éclectique qui nous a permis de toucher différents types de public y compris le plus jeune.

Votre programmation variée fait évidemment songer au système du Lucernaire…

Nikos Talbi Lykakis : J’adore ce lieu. Nous y avons produit quelques spectacles. J’apprécie le travail de Benoît Lavigne et de Karine Letellier. Ils m’ont beaucoup inspiré. Le Lucernaire et le Rond-Point sont mes références en matière de programmation théâtrale, mon « maître-étalon » en quelque sorte…
Néanmoins, c’est difficile de se comparer à ces deux institutions car nous n’avons ni restaurant ni de bar pour prolonger l’expérience spectateur ou organiser des événements. Nous réfléchissons à l’adaptation d’un espace existant en lieu de convivialité pour pallier ce manque. Concernant notre programmation, nous avions fait le pari de partager la semaine en deux. Du lundi au mercredi, proposer des spectacles de compagnies qui avaient besoin d’un tremplin parisien avec de très bonnes conditions d’accueil et du jeudi au dimanche des spectacles avec « têtes d’affiche » un peu mieux installés économiquement. Nous espérons reprendre cette démarche dès l’an prochain, quand les inquiétudes liées au Coronavirus seront estompées, car d’ici là comme pour beaucoup, nous sommes contraints de réduire la voilure. 

Qui sont les Gilets Jaunes, la grève des transports et le Coronavirus… Beau baptême du feu !

Nikos Talbi Lykakis : Et malgré cela nous sommes encore en vie et j’espère que nous le resterons longtemps sans trop de dommages collatéraux. Ces épreuves sont pour nous l’acte fondateur de ce qui pourrait advenir de TLSP, un lieu résilient… Cette parenthèse forcée, inédite dans notre histoire moderne, a permis de beaucoup réfléchir et de tirer des enseignements de nos erreurs de jeunesse.  Nous allons devoir sans doute nous ouvrir à d’autres partenariats, avec des entreprises notamment. Il faudra repenser le modèle économique du théâtre privé, tout du moins du notre. Nous avons plusieurs pistes sur lesquelles nous sommes en train de travailler comme le mécénat, la privatisation de spectacles, la mise en place de nouvelles offres à destination des comités d’entreprise, etc…

Comment avez-vous géré la crise du Covid 19 ?

Nikos Talbi Lykakis : Nous apprenons le 14 mars à 17h qu’il va falloir fermer le théâtre à minuit. C’est d’une extrême violence notamment pour les artistes qui apprennent que ce sera leur dernière ce soir-là. Il a ensuite fallu tout mettre en sommeil, prendre soin des installations, veiller à couper les clims, le chauffage, faire un dernier tour de piste, éteindre ma belle machine à café italienne, et rideau… Ensuite nous avons abordé l’aspect financier. C’est là où l’on mesure que nous avons de la chance d’être dans un pays, la France, qui offre autant d’amortisseurs sociaux. Toute l’équipe a pu bénéficier du chômage partiel, un dispositif qui n’a quasiment pas d’équivalent aussi généreux de par le monde ou peut-être dans quelques pays en Europe, mais en tout cas quand on voit ce qui se passe aux États-Unis, on est heureux d’être français… Là nous sommes dans les dossiers pour les prêts garantis par l’état, c’est vraiment rassurant pour une jeune structure comme la nôtre qui ne souhaite pas entièrement se reposer sur l’actionnaire le plus solide bien que je mesure à quel point j’ai de la chance d’avoir pour partenaire Christophe Février, filet de protection, amortisseur et hamac à lui tout seul…
La leçon concrète que je tire de cet épisode, c’est le rapport direct que nous devons recréer avec nos spectateurs. Voir du spectacle vivant n’est pas qu’un échange marchand, c’est une expérience émotionnelle.  

Comment voyez-vous demain ?
Arletty_1_roi rené_ © Olivier Brajon_@loeildoliv

Nikos Talbi Lykakis : Avec Christophe nous disons que nous n’avons pas un théâtre, mais une maison d’artiste. Un lieu d’échange et de rencontre qui se doit d’être ouvert 7 jours sur 7, avec toujours quelque chose d’original à voir, une émotion à vivre, un bon moment à passer, un lieu tremplin, un lieu où l’on voit des spectacles de qualité…. Nous travaillons à établir des passerelles avec la formation professionnelle comme la création d’ateliers d’écriture spécifique au théâtre. Il existe un tas de formations sur l’écriture de scénario, mais à ma connaissance, il n’y en a guère pour l’écriture théâtrale. Nous avons constitué une équipe qui commence vraiment à trouver ses marques et qui reste très motivée malgré cette épreuve du confinement. Nous avons hâte de redémarrer…
L’arrivée de Valérie Allègre au poste de directrice générale adjointe a eu un effet bénéfique sur notre organisation. Valérie, qui possède une sacrée expérience du métier m’a aidé à pousser le curseur vers plus d’exigence et de professionnalisme. Nous travaillons désormais de concert pour préparer la reprise dans les meilleures conditions.

Coq Héron est une maison de production heureuse, puisque le spectacle Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? a trois nominations aux Molières… Comment a démarré l’aventure ? 

Nous en sommes très fier même. L’aventure a commencé, il y a quatre ans, par le biais d’Hélène Degy, qui a organisé la rencontre avec Elodie Menant qui signait la mise en scène de La peur, pièce dans laquelle Hélène tenait le premier rôle. Des liens amicaux et artistiques se sont créés que nous avons développés en coproduisant La Peur au théâtre Michel pour trois saisons, avec à la clef, une nomination aux Molières de la révélation féminine pour Hélène. Nous avons continué à accompagner le travail d’Elodie car je n’envisage pas la production autrement qu’un parcours de longue haleine. C’est la conséquence logique d’un coup de foudre artistique avec un.e metteur.e en scène, un.e auteur.e, des comédiens, nourris du désir de faire un bout de chemin ensemble… J’aime l’idée d’avancer, de tâtonner, de grandir de concert. Avec Christophe, nous cherchons à développer, à créer une grande et belle famille artistique, confortablement installée dans sa maison… C’est pour cela que l’aventure naissante de notre Scène Parisienne est exaltante et fait sens… 

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Crédit photos © DR, © Morgane Delfosse et © Olivier Barjon

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