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Comtesse de Ségur née Rostopchine, l’envers sombre de la bibliothèque rose

Au studio Hébertot, Bérengère Dautun redonne vie à la Comtesse de Ségur.

Loin de l’image de grand-mère gâteau que l’on imagine, Bérengère Dautun se glisse avec virtuosité dans la peau de cette charmante aristocrate russe que la vie a blessée, abîmée. Fille désaimée de sa mère, femme délaissée par son mari, mère ayant perdu un de ses fils, elle trouve, à plus de 50 ans dans l’écriture, un peu de paix, de sérénité. Une plongée douce-amère dans nos souvenirs d’enfance.

Alors que l’on pénètre dans le studio Hébertot, les quelques meubles disposés sur la scène rappellent les intérieurs cossus de la haute société du XIXe siècle. Dans ce décor d’un autre temps, une silhouette féminine portant robe longue, empesée, stricte, émerge doucement de la pénombre. Tel un fantôme, elle s’avance semblant évoluer au gré d’une musique imaginaire. Cette femme menue, gracile, est une émanation de Sophie Ropstopchine (rayonnante Bérengère Dautun), aristocrate russe devenue pour la postérité la Comtesse de Ségur, auteure à succès de la célèbre bibliothèque rose.

Revenue le temps d’une soirée hanter le monde des vivants, l’écrivaine plonge dans ses souvenirs et livre dans un soliloque bouleversant ce que fut son existence. Née à Saint-Pétersbourg, sous les meilleurs auspices, elle est l’enfant chérie de Fiodor Rostopchine, gouverneur de Moscou. Très vite, le conte de fées tourne au cauchemar. Elle est élevée à la dure par une mère froide, distante, qui la déteste, la hait. Privation, sévices moraux, marquent ses jeunes années. Il lui faudra attendre l’exil de sa famille pour s’émanciper de cette tortionnaire qui n’a aucune fibre maternelle.

comtesse-de-segur-nee-rostopchine_hebertot_©Chatal DEpagne Palazon_@loeildoliv

Débarquant à Paris, la jeune russe fait, par sa grâce et son amabilité, tourner quelques têtes de le fine fleur du Royaume. Naïve, elle se laisse séduire par le fringant Comte Eugène de Ségur, fils d’un pair du royaume. L’affaire est rondement menée, mais très vite, elle est confrontée aux affres d’un mariage arrangé. Jeune homme séduisant, fort porté sur le sexe, il ne se contente pas des maigres appâts et du peu d’appétit pour la chose de sa femme et butine à l’envi toutes les belles de la gent féminine. De plus en plus isolée, ses parents étant rentrés en Russie, la douce comtesse s’éloigne de la Babylone française et s’installe dans son domaine des Nouettes. Mère de huit enfants, elle goûte le bonheur de cette paisible vie campagnarde. Mais le drame n’est jamais loin. La mort d’un de ses fils, la plonge, des années durant, dans une très longue dépression. Le temps finit par adoucir son âme slave blessée. A plus de 50 ans, couchant sur le papier ses douloureux souvenirs, elle trouve, enfin dans l’écriture, une certaine sérénité, une paix intérieure.

Mêlant réalité et fiction, Joelle Fossier brosse le portrait d’une femme abimée par la vie, partagée entre le romanesque de son âme slave et la rigidité de son éducation. Par petites touches, elle livre le vrai visage de celle qui est connue dans le monde entier pour ses romans sur l’enfance. Si l’on peut regretter quelques digressions sans grand intérêt, et une écriture sans relief, on se laisse porter par cette plongée dans l’histoire passionnante, peu connue et noire d’un des monuments de la littérature pour la jeunesse.

Ja Dautun°comtesse_segur_©DEpagne Palazon_@loeildoliv

Au-delà des mots, c’est le jeu gracieux, élégant de Bérengère Dautun, souligné par la sobre mise en scène de Pascal Vitiello, qui séduit. Volubile, totalement habitée par son personnage, elle donne profondeur et humanité à la célèbre Comtesse de Ségur. Elle est tour à tour la jeune Sofia, que son père empli de fierté mène à son premier bal, cette femme inexpérimentée qui ne sait retenir son mari, cette fillette que l’on abandonne au milieu d’une forêt hostile pour lui apprendre les bonnes manières, enfin, elle est cette grand-mère qui écrit pour le plus grand bonheur de ses petits-enfants. Menue, touchante, la comédienne, ancienne sociétaire de la Comédie-Française, nous entraîne dans la trépidante et sombre vie d’une auteure hors du commun.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Comtesse de Ségur née Rostopchine de Joëlle Fossier
Studio Hébertot
78bis, Boulevard des Batignolles
75017 Paris
à partir du 25 avril 2017
du mardi au samedi 19 h
le dimanche à 17 h

mise en scène de Pascal Vitiello
avec Bérengère Dautun
photographies de Bruno Baccheschi
son de Sylvain Denis
lumières de Jérémie Izad

Crédit photos © Chantal Depagne /Palazon

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