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Antigone de Sophocle… Tragédie glaciale

Sans fioriture, dans un décor minimaliste, avec juste quelques projections d’images de désert ou de foule, elle est là sur la scène du Théâtre de la Ville…hiératique, sublime, tout de noir vêtue. Pas l’actrice, mais Antigone de Sophocle, l’héroïne éternelle, intemporelle. C’est ainsi que l’a imaginée le flamand Ivo van Hove. En signant une tragédie froide, sèche, ultra contemporaine, à la scénographie esthétisante allant jusqu’à l’épure, il revisite le mythe qui résonne comme un étrange écho de notre monde moderne. Sobre et élégant, le spectacle, porté par une troupe épatante de comédiens, n’en reste pas moins trop lisse. Faute d’aspérités,

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Antigone de Sophocle mis en scène au Théâtre de la Ville par Ivo van Hove et avec dans le rôle titre Juliette Binoche

Sans fioriture, dans un décor minimaliste, avec juste quelques projections d’images de désert ou de foule, elle est là sur la scène du Théâtre de la Ville…hiératique, sublime, tout de noir vêtue. Pas l’actrice, mais Antigone de Sophocle, l’héroïne éternelle, intemporelle. C’est ainsi que l’a imaginée le flamand Ivo van Hove. En signant une tragédie froide, sèche, ultra contemporaine, à la scénographie esthétisante allant jusqu’à l’épure, il revisite le mythe qui résonne comme un étrange écho de notre monde moderne. Sobre et élégant, le spectacle, porté par une troupe épatante de comédiens, n’en reste pas moins trop lisse. Faute d’aspérités, cette tragédie manque du souffle nécessaire pour nous charmer totalement.

L’argument : Après l’exil du roi Œdipe, sa descendance se déchire pour le trône de la cité de Thèbes. Ses fils, Etéocle et Polynice, s’affrontent pour le pouvoir, et s’entretuent lors de la bataille qui les affronte. Mais si Créon, le frère d’Œdipe et nouveau roi de Thèbes, accorde à Etéocle les honneurs mortuaires, il fait publier un interdit quant aux sacrements destinés à l’autre frère.
Antigone, la nièce de Créon, se révolte contre cette décision, et décide de rendre honneur à Polynice, sous peine d’encourir une terrible punition…

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Juliette Binoche est Antigone sur la scène du Théâtre de la ville ©Jan Versweyveld

La critique : On entre dans l’Antigone de Sophocle, mise en scène par Ivo van Hove, comme dans un désert froid, aride et sec. Le décor est minimaliste, sombre : une scène surélevée, dans laquelle sont incrustés canapés noirs, bibliothèques et escaliers ; un écran géant, diffuse des images plus ou moins floues d’une vallée désertique où gît un arbre mort ou de passants errant dans les rues d’une grande ville, et au centre une porte étroite surplombée d’un grand disque qui figure le soleil et sa course quotidienne de l’aube au crépuscule en passant par le zénith de cette tragédie.

 

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Créon (Patrick O’Kane) et son fils Hémon (Samuel Edward-Cook) se font face dans une lutte de pouvoir d’où dépend le destin d’Antigone © Jan Versweyveld

Le vent souffle glacial, funeste. Des papiers volent sur scène. Une ambiance lourde, avec un air de western, la tension est palpable. Une silhouette avance déterminée. Elle fait face aux éléments. Les vêtements fluides noirs collés au corps. C’est Antigone (Juliette Binoche) âme d’acier, pure et entière. C’est Antigone rebelle prête à défier les décrets royaux. C’est Antigone pleurant ses frères. La bataille fratricide entre Etéocle et Polynice, pour le trône de Thèbes vient d’avoir lieu. Les deux frères sont morts. Pour l’un tous les honneurs funéraires pour l’autre rien. Son corps sera livré en pâtures aux animaux. C’est la décision politique du nouveau Roi de Thèbes, Créon (Patrick O’Kane), leur oncle. Face à cette injustice, Antigone ne peut rester inactive. En chemin vers la dépouille de son frère Polynice à qui elle souhaite offrir une sépulture décente en accord avec ses croyances, elle fait part de ses desseins à sa sœur Ismène (Kirsty Bushell). La confrontation est violente, déchirante, bouleversante. Antigone intransigeante obéit aux lois ancestrales, celles des dieux, celles de sa famille, Ismène, plus souple, comprend sa sœur, mais n’ose défier son oncle et l’ordre qu’il essaie d’établir dans la cité affaiblie par la guerre civile. De cette opposition, de ce dilemme, va découler le drame.

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Les deux sœurs, Antigone et Ismène, unies dans la Tragédie © Jan Versweyveld

Face à la douleur viscérale d’Antigone, à sa force tranchante, à sa détermination sans faille, s’oppose l’atmosphère glaciale de la salle du conseil de la ville, dirigée par le tyrannique, bureaucrate et inhumain Créon. Entre l’oncle et la nièce, la guerre est déclarée. Le combat sera féroce. L’issue funeste et fatale. Entre raison et passion, entre devoir familial et pouvoir politique, les dés sont jetés. La tragédie est en marche.

Aux commandes de ce drame mythologique, l’iconoclaste et bouillonnant flamand Ivo van Hove signe une mise en scène de bonne facture, épurée, minimaliste, sobre et élégante, mais manquant du souffle nécessaire pour faire vibrer l’auditoire. En gommant les aspérités, il fait de son Antigone une pièce froide, lisse, presque sans âme. Si le sort de l’héroïne nous émeut, la tension dramatique manque d’ampleur et empêche de nous bouleverser totalement. La faute peut être à trop de retenue, à un tempo trop lent presque lassant. Et pourtant, derrière cette pesanteur un peu ennuyeuse, on sent la force créatrice, la vision puissante et le regard intelligent du metteur en scène sur cette tragédie antique.

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Antigone de Sophocle liftée par Ivo van Hove © Jan Versweyveld

Bien sûr, il y a Juliette Binoche, la comédienne brune au teint diaphane. Bien qu’un peu trop âgée pour le rôle, un peu mal à l’aise, elle joue pourtant sans fausse note sa partition. Enfermée dans la mise en scène d’Ivo van Hove, elle n’arrive pourtant pas à imprimer le souffle tragique à cette Antigone ultra-contemporaine. Peu présente sur les planches, elle se fait littéralement phagocyter par Patrick O’Kane qui incarne avec justesse un Créon buté et glacial et par la fabuleuse Kirsty Bushell, qui interprète avec finesse une Ismène tout en retenue et fermeté. Sa voix rauque donne du corps à son personnage, et retient l’attention, le regard. Dans l’ensemble, la distribution est parfaite.

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Antigone offrant une sépulture décente à son frère Polynice ©Jan Versweyveld

La grande force de cette énième version d’Antigone de Sophocle est la nouvelle traduction signée Anne Carson. Bien qu’en Anglais surtitré, le texte rajeuni, précis, concis, garde la puissance et la violence de l’œuvre originale.
Si on est un peu déçu, c’est peut-être parce qu’on attendait trop du duo Ivo van HoveJuliette binoche. On espérait un regard radicalement neuf sur cette tragédie antique. Alors, oui cette Antigone manque de cœur et de souffle, mais n’est pas pour autant dénudée d’intérêt. A chacun de se faire son idée…

Antigone de Sophocle
Théâtre de la ville
jusqu’au 14 mai

Nouvelle traduction d’Anne Carson
Mise en scène d’Ivo van Hove
décor & lumières de Jan Versweyseld
costumes d’An d‘Huys
vidéo de Tal Yarden
dramaturgie de Peter van Kraaij
Avec Juliette Binoche, Obi Abili, Kirsty Bushell, Samuel Edward-Cook, Finbar Lynch, Patrick O’Kane, Kathryn Pogson

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