Kliniken de Lars Norèn. Mise en scène de Julie Duclos. © Simon Gosselin

Kliniken, Julie Duclos prend le pouls du monde au travers d’âmes errantes

Au TNB, Julie Duclos s’empare à bras le corps de Kliniken, pièce sombre et bouleversante de Lars Norén, écrite en 1993.

Au TNB, dans le cadre du festival organisé par Arthur Nauzyciel, Julie Duclos s’empare à bras le corps de Kliniken, pièce sombre et bouleversante de Lars Norén, écrite en 1993. En plongeant au plus près du quotidien d’un hôpital psychiatrique, la metteuse en scène signe un spectacle immersif rare et sensible qui donne à voir la détresse du monde. 

Des silhouettes singulières, étranges, traversent une sorte de grand hall, qui sert à la fois de salle à manger, de salle de détente et de fumoir. Chacune dans son monde, elles se croisent sans vraiment se voir, s’interpellent sans vraiment prendre en considération l’autre. Enfermées dans un espace clos, un établissement psychiatrique, où s’entremêlent sans distinction tous les maux de l’âme, tous les troubles mentaux sans exception, elles survivent, s’accrochent à une lumière, un espoir.

Le rapport à l’autre

Kliniken de Lars Norèn. Mise en scène de Julie Duclos. © Simon Gosselin

S’intéressant à ceux qui sont en marge de la société, aux exclus qui n’ont pas su, pas pu trouver leur place dans un univers normé, codifié, Lars Norén, lui-même diagnostiqué schizophrène et interné à l’âge de vingt ans, puise dans ses souvenirs pour esquisser un autre regard sur nos sociétés, son état de santé, sur ces vies emprisonnées dans un huis clos mental autant que physique. Dans ce lieu isolé du monde extérieur, les existences s’écoulent lentement, banalement. À part quelques besoins primaires, comme manger, se laver, boire, fumer, qui rythment les tristes journées, que rien ne semble perturber. Sont-ils là depuis quelques heures, des jours, des mois, des années ? Difficile à dire. Avec acuité, lucidité, le dramaturge, qui nous a quittés en janvier dernier, cisèle des dialogues et des portraits d’une justesse sidérante. 

Une adaptation dans l’air du temps

Écrite en 1993 afin de donner le pouls d’une époque,  » d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître « , la pièce a été adaptée, revisitée, avec ingéniosité et délicatesse, par Julie Duclos pour l’ancrer dans la France d’aujourd’hui. En écho parfait avec l’actualité de notre temps, le texte révèle les failles d’un monde, les fêlures d’une société. Anorexie, état suicidaire ou maniaco-dépressive, schizophrénie, migrants confrontés à la violence du rejet, etc., les maux de l’humanité sont là, mis à nu devant le spectateur. Aucune échappatoire, ni pour les comédiens pris dans les rets de ce plateau imaginé par Matthieu Sampeur, ni pour le public face à cette mise en abime, ce miroir de nos propres errances, nous sommes tous condamnés à vivre avec les autres, à supporter leurs travers, à entendre leur détresse, même si elles ne s’accordent pas, n’ont aucun point commun. 

Le purgatoire de toutes les peines 

Kliniken de Lars Norèn. Mise en scène de Julie Duclos. © Simon Gosselin

Avec intelligence et finesse, Julie Duclos s’empare de ce diamant brut, de cette pièce aux accents beckettiens, ibsenniens. Elle y insuffle une vie au bord du précipice, l’urgence impérieuse de fuir l’enfer qui semble engloutir chaque protagoniste. Dirigeant au cordeau une troupe exceptionnelle de comédiennes et de comédiens, elle donne corps à ces désordres intimes qui mettent en exergue toutes les blessures du monde. Imaginée comme une sorte de purgatoire, la scène est le terrain de jeu de ses âmes folles, lumineuses, hurlantes autant que silencieuses, où brillent en ange déchu l’épatante Alexandra Gentil et sa cohorte de congénères, la détonante Émilie Incerti Formentini, le gracile Mithkal Alzghair, l’explosif Étienne Toqué, la déchainée Manon Kneusé ou le fascinant Maxime Thébault, tout juste sorti de l’École du TNB. 

Une autre réalité 

À travers ces vies brisées, broyées par une normalité absurde, la pièce de Norèn dépeint, avec sagacité et clairvoyance, une humanité en proie aux doutes, aux souffrances qu’elle s’inflige, aux violences qui émaillent  son quotidien. Portant jusqu’à l’acmé final, véritable déflagration qui laisse littéralement exsangue un public abasourdi, les dérives de nos sociétés moderne, Le Kliniken de Julie Duclos est un uppercut sidérant qui laisse sans voix, un moment de poésie noire. Un petit bijou théâtral, âpre autant que sensible !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Rennes

Kliniken de Lars Norén 
Festival du TNB
TNB
1 rue Saint-Hélier
35040 Rennes Cedex
Jusqu’au 19 novembre 2021
Durée 2h40 avec entracte

Tournée
du 1er au 2 février 2022 au ThéâtredelaCité, CDN Toulouse-Occitanie
le 15 mars 2022 au Cratère – Scène nationale d’Alès
Les 6 et 10 avril 2022 aux Célestins – théâtre de Lyon
Les 7 et 26 mai 2022 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe 

Traduction de Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli et Arnaud Roig-Mora
Mise En Scène de Julie Duclos assistée d’Antoine Hirel
Avec Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Émilie Incerti Formentini, Manon Kneusé, Yohan Lopez,
Stéphanie Marc, Cyril Metzger, Leïla Muse, Alix Riemer, Maxime Thébault, Émilien Tessier et Étienne Toqué
Scénographie de Matthieu Sampeur
Collaboration à la scénographie – Alexandre De Dardel
Lumières de Dominique Bruguière assisté d’Émilie Fau
Vidéo de Quentin Vigier
Son de Samuel Chabert
Costumes de Lucie Ben Bâta Durand
Régie Générale de Sébastien Mathé
Avec Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Émilie Incerti Formentini, Manon Kneusé, Yohan Lopez, Stéphanie Marc, Cyril Metzger, Leïla Muse, Alix Riemer, Maxime Thébault, Émilien Tessier et Étienne Toqué

Crédit photos © Simon Gosselin

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