Des nouvelles du TNS

Au TNS, Stanislas Nordey fait, la saison prochaine, la part belle aux femmes. Un engagement sur l'avenir !

Situé dans l’une des régions françaises les plus touchées par la pandémie de la covid-19, le TNS se déconfine doucement. Alors que les répétitions ont repris, Stanislas Nordey présente son programme estival ainsi qu’une saison 2019-2020 très engagée faisant la part belle aux femmes, auteures et metteuses en scène, mais aussi à la revisite de textes plus classiques à l’aune de l’actualité. De quoi nous mettre l’eau à la bouche ! 

Comment le théâtre reprend-il vie ? 

Stanislas Nordey : Depuis le 18 mai, les portes du TNS ont rouvert. Le personnel revient dans les locaux, notamment la technique pour préparer les plateaux à la reprise d’activités artistiques, mais aussi les ateliers costumes et les ateliers décor. La ruche se remet tranquillement en route. Ils sont tous contents de se retrouver et de retourner à leur poste après plus de deux mois de confinement. Du coup, tout le monde s’adapte assez facilement aux nouvelles règles imposées. L’administration du théâtre, quant à elle, reste en grande partie en télétravail. Cela fonctionne très bien et cela évite qu’il y ait trop de monde dans les locaux. C’est une bonne chose si l’on veut éviter tout risque de seconde vague. 
Par ailleurs, nous avons aussi commencé à préparer les concours de l’école supérieur d’art dramatique de Strasbourg. Nous devons finir, tout au long du mois de juin, les auditions d’entrée du groupe 47. 
Nous avons aussi beaucoup réfléchi à comment répondre à la proposition d’Emmanuel Macron, d’un « été apprenant et culturel ». Cela se traduit par ce que l’on a décidé d’appeler, La traversée de l’été du TNS
En parallèle, les répétitions de Berlin, mon garçon de Marie Ndiaye, que je devais monter en juin et dont la création est reportée en avril 2020, ont repris, tout en respectant les règles barrières. Pour les costumes par exemple, les acteurs mettent seuls leur vêtement, sans avoir recours à une habilleuse. Pour les micros HF, il en va de même. Malgré un certain optimisme concernant le virus, nous tenons, par précaution, à garder ces nouveaux rituels sanitaires. Nous ne portons pas de masque sur le plateau, car il n’y a jamais plus de trois comédiens sur scène, mais il est obligatoire pour circuler dans le théâtre.

Qu’est-ce que la traversée de l’été du TNS ? 

Stanislas Nordey : Le principe est simple. Les théâtres ont été fermés entre deux et trois mois. L’été arrivant, il nous a semblé qu’il était nécessaire que nous ouvrions le lieu pour permettre aux artistes et aux auteurs de recommencer à travailler dans de bonnes conditions. En parallèle, nous avons aussi décidé de mettre en place pour de jeunes amateurs, passionnés de théâtre, un certain nombre d’ateliers de pratiques artistiques, que l’on appelle la troupe avenir. Nous allons aussi mettre en place des lectures de textes que j’ai commandé à douze auteurs contemporains allant de Gwendoline Soublin à Koffi Kwahulé et qui seront confiées aux élèves sortant de l’école du TNS. L’objectif est d’être présent toute la saison estivale avec des répétitions publiques dans l’enceinte du théâtre, mais aussi dans la cité avec de petits événement dans des lieux emblématiques, tels que les EHPAD. Ce sont des choses qui me tiennent à cœur et qui permettent de créer et de maintenir un lien entre les publics et nous. 

En tant qu’artiste, qu’est-ce que cela fait de retourner sur la scène après avoir été aussi longtemps à l’arrêt ?  

Stanislas Nordey : Il y a une forme d’enthousiasme. J’ai la double chance de pouvoir répéter et travailler, que ce soit comme comédien, dans la future création d’Eric VignerMithridate de Racine, ou comme metteur en scène avec Berlin mon garçon. Je me rends bien compte que Le théâtre est assez physique. Dans le corps trop longtemps groggy, il y a quelque chose qui se réveille. Évidemment, il y a eu au tout début une forme d’appréhension, de peur, d’être rouillé, d’avoir besoin d’un long temps de réadaptation. En fait, ça revient très vite, stimulé par le plaisir d’être ensemble et de fouler les planches à nouveau. 

Est-ce que cela vous a manqué pendant c’est deux mois et demi d’arrêt ? 

Stanislas Nordey : Je ne dirais pas cela. Mon activité en tant que directeur du TNS m’a pris tout mon temps. J’étais dans la suractivité afin de régler tous les aspects de cette crise sans précédent que ce soit organisationnel quant au report et annulation des pièces ou quant aux différents scénarii de sortie du confinenement, que je n’ai pas vu le temps passé. Rien ne m’a manqué, je n’ai pas eu le loisir d’y penser. 

Dans la programmation de la nouvelle saison, vous mettez l’accent sur le féminin, c’est une volonté claire de votre part ? 

Stanislas Nordey : En effet. Il y a plusieurs raisons à cet engagement. Déjà, cette année, je monte deux pièces écrites par les autrices associées au TNS, Marie NDiaye et Claudine Galea. Puis, dans tout ce que je lis depuis plusieurs années maintenant, ce qui me saute au visage, ce sont des écrits de femmes. Notamment, j’aime beaucoup la plume d’Anne Carson ou de Léonora Miano. J’ai aussi pu faire le constat, avec Agnès Troly, qui souhaitait il y a deux ans programmer au Festival d’Avignon potentiellement dans la cour d’honneur, Berlin mon garcon, que sur les grandes scènes françaises, il y a un vrai retard sur la place des autrices Face à cela, j’ai en effet pris la décision de ne monter, en tant que metteur en scène que des pièces écrites par des femmes jusqu’à la fin de mon mandat. Comme c’est assez en accord avec mes goûts du moment, je me questionne à continuer cet engagement par la suite. 

Est-ce une histoire de sensibilité dans l’écriture ou de regards différents sur le monde ? 

Stanislas Nordey : Je pense surtout que c’est lié à une forme d’engagement. Je lis plus scrupuleusement les textes de femmes, parce je vois bien qu’il y un manque de représentativité. Je creuse avec plus d’intérêt, d’attention. Chez moi, j’ai fait l’exercice de réorganiser ma bibliothèque, en regroupant d’un même côté tous les écrits féminins. Au final, il y en a peu. Et si on compare avec les textes écrits par des hommes, c’est encore plus flagrant. Étant pour les choses extrêmes, je ne serais pas contre qu’une année on propose à tous les théâtres de ne monter que des pièces écrites par des femmes. L’objectif serait en quelque sorte de renverser le balancier. Ce qui explique ma position tranchée. J’avais eu le même type d’engagement au début de ma carrière avec les textes contemporains. 

Vous avez aussi dans votre programmation choisie des pièces aux thématiques très actuelles et très engagées. La saison est de facto assez politique… 

Stanislas Nordey : Il y a plusieurs choses à distinguer. J’ai toujours fait en sorte que la place des acteurs issus de la diversité, comme on dit, soit importante au TNS. Plus de la moitié des spectacles présentés l’an prochain en témoignent en, en mettant en scène, dans des rôles-titres ou des rôles principaux. Par ailleurs, dans les thèmes abordés, il y a en effet une couleur politique qui se dessine. Mais, si on regarde attentivement la saison prochaine, avec  Superstructure de Sonia Chambrietto, qui revient sur l’histoire récente de l’Algérie,avec Au Bord de Claudine Galea, qui prend comme point de départ l’image devenue depuis ,tristement célèbre ,d’une soldate tenant un homme nu en laisse à la prison d’Abou Ghraib en 2004, pour parler de la torture et de notre fascination face à la violence, avec Le Père de Stéphanie Chaillou, mis en scène par Julien Gosselin, qui parle d’un paysan écrasé par les dettes qui vit une véritable descente aux enfers, ou avec Nickel de Mathilde Delahaye sur le voguing, ce n’est pas totalement un hasard si la présence des autrices cette année fait aussi que le politique est encore plus présent au théâtre. J’ai en effet l’impression qu’aujourd’hui les femmes écrivent beaucoup plus en prise avec la société et avec ce qui se passe autour d’elle. 

Face à cela, vous présentez plusieurs pièces de Racine. Est-on dans un contraste voulu et assumé ? 

Stanislas Nordey : Clairement, Racine c’est classique mais c’est aussi une langue particulière qui peut résonner très contemporain. Après tout dépend comment les textes sont montés. Pour en revenir à la saison, on est plutôt dans une variation autour de ce grand dramaturge du XVIIe siècle. A part le Mithridate, qui permet de redécouvrir un texte quelque peu oublié, les trois autres propositions sont des rêveries autour de son théâtre. Avec Phèdre !François Gremaud revisite de manière admirative mais assez déjantée cette tragédie antique et l’emmène totalement ailleurs. Le Bajazet de Castorf est fracassé contre le continent Antonin Artaud. Et l’Andromaque à l’infini de Gwenaël Morin est aussi un exercice de style qui réinvente le mythe racinien. Disons que de loin, cela peut apparaître comme un « shoot » de théâtre classique, mais quand on se rapproche c’est une plongée dans une langue dont se saisissent des créateurs pour dire tout le bonheur qu’ils ont à la travailler.

Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © Ji-Elle – Wikimédia Commons, © Benoit Linder, © Jean Louis Fernandez et © Christophe Raynaud de Lage

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