Mesdames R’n’B

Chaque spectacle est une rencontre qui parfois dépasse le cadre des salles. Mesdames R'n'B font partie de ces exceptions.

Un signal sonore m’annonçant l’arrivée d’un nouveau mail, me sort de mes rêveries. Plus qu’un voyage de presse, le message est porteur d’une promesse, celle de découvrir le travail entre théâtre et danse d’un duo de femmes. Sur des textes d’une poétesse américaine, elles ont construit une invitation au rêve, une plongée dans un univers surréaliste sur fond de la question d’identité. 

Alléché par la proposition, je prends date. Le jour J arrive très vite. Le temps est épouvantable. Le vent est glacial. La bruine incessante. Direction la gare de Montparnasse pour retrouver les autres participants à cette expédition en terre angevine. Nous sommes six en tout. L’entente est belle. Chacun parle des derniers spectacles vus, de ses derniers coups de cœur. Mister G, l’ami marseillais, tente d’en savoir plus sur la suite des événements, comment va se dérouler la suite de l’excursion culturelle. C’est un anxieux. Il a besoin d’un cadre pour se détendre. Il en sera pour ses frais. Rien n’est très clair. L’attaché de presse, entre deux mails, il faut dire qu’il est très prolixe, assure qu’il gère, qu’il n’y a pas à s’inquiéter. Le train s’arrête. Il pleut des trombes. Pas le temps de passer à l’Hôtel, la petite troupe se dirige à pas rapides vers le théâtre. Énorme bâtiment en bord de Loire en contre bas de la ville. La façade de verre, laisse entrevoir, l’immense hall aux teintes orangées. 

L’heure du spectacle approche. A peine le temps de boire un verre, histoire de se réchauffer, de se sécher, la salle nous attend. La scène épurée présage de belles choses. Madame B apparaît. C’est le coup de foudre. Ronde, lumineuse, terriblement drôle, elle habite l’espace. Plus rien n’existe. Elle m’entraîne dans son mode fait de poésie, de balades épiques, d’histoires familiales. Certes, d’autres artistes viendront fouler les planches, d’autres tableaux ciselés inviteront à un songe, à une réflexion sur le féminisme, l’héritage familial, le lien aux racines, mais sa présence unique attire les regards. Elle semble familière, comme une bonne amie, une sœur, une confidente. Immédiatement, un lien profond, intense est né. Il aurait pu être unilatéral. La suite de l’aventure montrera que non. Le spectacle se termine. Très émoustillés, nous sommes conviés à rejoindre l’équipe au fameux pot de première. 

Vouvray et gâteaux secs nous permettent de patienter. Nous n’avons toujours pas le déroulé de la soirée. Elle va être épique, et donner à cette rencontre une aura d’extraordinaire, presque baroque, qui colle parfaitement à ce duo d’artistes. 

Madame B nous rejoint sous les applaudissements. Tout sourire, elle est suivie de Madame R. Son accent espagnol est reconnaissable entre mille. Bien sûr, sur scène, elle ne passe pas inaperçue, mais dans cette création peut-être un peu en retrait. Il y a quelque chose chez elle, de très chaleureux, de très ibérique. Dans sa manière d’aborder les gens, de parler, elle est solaire, humaine. La première impression est clairement la bonne. Lentement, imperceptiblement, une sorte d’attirance se noue. Mais, ce n’est pas encore le moment. Les premiers échanges sont polis, doux. Il va falloir attendre. Faute de perspective culinaire, nous grignotons quelques gressins. L’heure passe. Il serait temps d’aller à l’hôtel. 

Erreur, nous sommes attendus à diner dans un restaurant situé à deux pas des remparts de la forteresse royale, qui domine la cité médiévale. Artistes, journalistes et équipe de prod, armés de parapluie, se préparent à affronter le déluge qui sévit à l’extérieur. Le trajet est long. Le chemin escarpé. Les éléments se déchainent. Après une bonne demi-heure, on arrive enfin à bon port. Nous sommes une vingtaine. Nous envahissons l’espace. La pauvre serveuse semble débordée. La soirée continue dans la bonne humeur. Dans un brouhaha joyeux, des affinités naissent. Mesdames R’n’B sont épuisées mais font le show. Volubiles, extravagantes, elles sont inénarrables. Une sorte de folie douce semble parcourir leurs veines. Le moment est unique. Une tendresse singulière, délicate, vibrante, éclos entre elles et moi. La discussion est fluide comme si on se connaissait depuis des années. Malheureusement, il se fait tard, presqu’une heure et demi du matin et avec l’attaché de presse, nous devons encore trouver le lieu où nous allons passer la nuit.

La tempête s’est calmée. Mais notre périple est loin d’être terminé. Les éclairages publics se sont éteints. Les rues sont plongées dans le noir. C’est avec les torches de nos téléphones portables que nous avançons. Enfin arrivés, nous trouvons portes closes. Heureusement quelques pantomimes et nos visages défaits, finiront par alerter le vigile. A l’intérieur, nous pensons que le moment de se glisser dans un lit douillet n’est plus qu’une question de minutes. Cela serait trop facile. L’homme est très embêté. Il ne trouve pas nos réservations. Avec la fatigue, un petit vent de panique nous gagne. Une tornade dans un verre d’eau, nous n’étions pas inscrits aux bons noms. Soulagement, chacun gagne sa chambre. Demain sera un autre jour. 

Quelques semaines plus tard, en pleine grève de décembre, je retrouve le duo infernal R’n’B. Toujours aussi pétulantes, elles proposent une relecture d’un tableau, d’une amitié entre une auteure et un peintre. Elles n’ont rien perdu de leur magnétisme. Je suis scotché par leur énergie, leur vivacité, l’ingéniosité avec laquelle elles s’approprient les mots des autres, leur donnent densité. Madame R se révèle tout aussi caustique, clownesque, granguignolesque que sa comparse. Ensemble, elles forment une entité artistique détonante et explosive. Comment ne pas fondre et se laisser porter par la flamme qui les anime. On s’embrasse. On échange rapidement. On se dit à bientôt Puis on se sépare à nouveau. 

Les mois passent. Une étrange maladie s’invite et gagne l’un après l’autres tous les pays du monde. On nous dit que c’est une grippe. Pas d’inquiétude donc en ce début mars. Direction Strasbourg, j’ai rendez-vous avec mes deux amies pour découvrir une autre de leurs créations. J’ai hâte. Ma curiosité est particulièrement exacerbée. En raison des gestes barrières, le train est désert. Le voyage se déroule sous les meilleurs auspices. Je me balade dans la ville, me dirige vers le centre chorégraphique. Le temps est clément, insouciant. La soirée est douce, belle. Le spectacle, une belle ode à la tolérance. Le moment de se revoir arrive. Il est des plus affectueux. Avec ces deux-là, c’est un peu comme être en famille. Les discussions vont bon train. On s’inquiète bien sûr, le virus plane. Mais on ne mesure pas encore l’impact pour la suite. On s’embrasse. On vit. On vibre. 

C’était le temps d’avant. Celui où tout était possible. On reste en contact, on se réconforte, on rêve de se retrouver, de continuer à partager cette passion pour l’humain, le vivant, l’art qui nous anime. Ce n’est, on l’espère que partie remise. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, © Cristophe Finot – wikimedia Commons, © Mith – Wikimedia Commons et © OFGDA

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