Un atrabilaire amoureux haut en couleurs au Ranelagh

Au Ranelagh, le duo Lambert-Vaude signe un Misanthrope pétillant.

Au cœur du XVIe arrondissement, dans le bel écrin du théâtre du Ranelagh, Chloé Lambert et Nicolas Vaude proposent un Misanthrope de Molière où modernité et classicisme font bon ménage. 

En 2004, alors qu’ils jouaient la pièce de Florian ZellerL’autre, dont le sujet était la complexité des sentiments amoureux, Chloé Lambert et Nicolas Vaude ont rêvé de se retrouver ensemble dans Le Misanthrope. Il a fallu du temps pour voir leur désir se réaliser. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, ils en signent conjointement la mise en scène. Leur proposition est fort séduisante jouant sur tout ce qui résonne sur notre monde actuel. Car le monde dépeint par Molière ne semble pas si éloigné du nôtre où le paraître et les faux-semblants sont toujours de mise. Il a de quoi encore râler l’ami Alceste. 

Bal des hypocrites

La fête ! Tout est là. Célimène en raffole, Alceste l’exècre. La pièce démarre sur des airs endiablés disco où l’on voit les uns et les autres danser, s’amuser et notre cher atrabilaire amoureux faire la tête. Ce tableau du début est diablement réussi. Lambert et Vaude ont décidé d’utiliser tout le plateau, cintres compris, ainsi que la salle du Ranelagh. L’espace se transforme en salle de bal, en café déserté ou en salon de Célimène (magnifique). S’appuyant sur les lumières d’Idalio Guerreiro, la scénographie de Thibault Ameline est de toute beauté. Tout comme les costumes de Carole Gérard qui jouent avec subtilité sur le moderne et l’ancien.

Un duo de charme et de choc

Alceste, c’est Nicolas Vaude. Avec sa silhouette d’éternel adolescent, il incarne un Alceste, non pas atrabilaire, mais en révolte perpétuelle. Ses rages passent par le corps, un pied qui traîne nerveusement sur le sol, une mine renfrognée. Il peste après ce monde qu’il ne comprend pas. S’il remet tout en cause, lui se garde bien de se remettre en question, même lorsqu’on le lui demande avec bienveillance. C’est lui contre les autres. Etre franc est sa ligne de conduite, pas de compromis avec les amis, les ennemis, l’Etat, les faux poètes… Et curieusement, cet homme idéaliste, droit comme la justice aveugle, est amoureux de Célimène. Tout l’opposé de ce qu’il est. Mais « l’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas ».

Chloé Lambert prête toute sa grâce mais également son sourire mutin à la belle Célimène. La comédienne ne joue pas sur le registre de la coquette futile que l’on prête ordinairement à ce personnage. Elle est une jeune femme qui grâce à son veuvage peut vivre pleinement sa vie et tient à en profiter. Elle aime la fête et le beau monde, avoir sa place dans cette société, en s’amusant des uns et des autres. La comédienne incarne avec une belle sincérité cette femme libre qui sait jouer tout autant de ses charmes que de son bel esprit. Ce qui lui jouera des tours. Elle accepte les avances d’Alceste parce qu’il l’attendrit. Elle est touchée par ses colères. Mais ici, on ne saura jamais si elle a de véritables sentiments pour lui. Elle aime sa liberté et Alceste a tout d’un futur geôlier.

Une troupe au cordeau

Plus on vieillit et plus on aime le personnage de Philinte, l’ami d’Alceste qui le protège et lui prodigue des conseils plus que sages. Qu’il est beau ce personnage. Laurent Natrella est formidable. Comme on aimerait l’avoir comme ami. Nathalie Boutefeu est Eliante, la gentille, la belle âme, cousine effacée de Célimène. Le duo Philinte-Eliante fonctionne très bien. Hélène Barillé, qui ne nous a pas convaincu, incarne Arsinoé, un rôle difficile qu’il n’est pas toujours aisé d’interpréter. Dans les petits marquis, Arthur Sonhador et Raphaël Duléry sortent des sentiers battus des pédants et nous offrent une interprétation assez originale. Pierre Vial, dans le rôle du mauvais rimeur et « protecteur » de Célimène, nous offre une excellente composition. Ici ce n’est pas un orgueilleux imbu de lui-même, mais un homme profondément blessé par les propos d’Alceste à l’égard de ses vers. Et puis, il y a la charmante Clara Artur Vaude qui passe avec une belle aisance du personnage de Basque à celui de Dubois, les valets des deux amants contrariés.

Chloé Lambert et Nicolas Vaude aiment le théâtre et cela se sent dans leur mise en scène, dans leur direction d’acteurs. Ils éprouvent beaucoup de tendresse pour les personnages de cette comédie qui se termine sur la solitude des deux héros. On se laisse emporter par cet élégant Misanthrope.

Marie-Céline Nivière


Le Misanthrope de Molière
Théâtre du Ranelagh
5, rue des vignes
75016 Paris
A partir du 17 janvier 2020
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 17h00
Durée 1h45


Mise en scène de Chloé Lambert et Nicolas Vaude 
Avec Nicolas Vaude, Chloé Lambert, Laurent Natrella, Pierre Val, Nathalie Boutefeu, Arthur Sonhador, HélèneBarillé, Raphaël Duléry, Clara Artur Vaude
Scénographie de Thibault Ameline
Costumes : Carole Gérard
Lumière d’Idalio Guerreiro
Chorégraphie de Karine Briançon

Crédit photos © Ben Dumas

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