1200 Tours, Aurélie Van Den Daele © Thierry Laporte
© Thierry Laporte

1200 tours, les destins politiques d’Aurélie Van Den Daele

Avec 1200 Tours, Aurélie Van Den Daele met en scène une fresque politique ambitieuse et riche, qui ne tient pas toutes ses promesses mais avance avec générosité.

Récemment, la polémique bas de gamme entourant le choix macronien d’une artiste populaire, Aya Nakamura, pour ouvrir les Jeux olympiques, aura au moins rappelé, par un petit coup d’ironie de l’histoire, la dimension politique de la musique mainstream. L’histoire de la rappeuse X (Benicia Makengele) au centre de 1200 Tours y fait écho au moins sur ce point-là. Dans la création d’Aurélie Van Den Daele, cependant, le backlash vient de l’État, une France contemporaine à peine fictionnalisée. Mauvais endroit, mauvais moment : le 14 juillet 2021, l’artiste débite ses textes engagés dans une performance live dans Paris ; au même moment, une foule en colère prend d’assaut le palais de l’Élysée. On accuse la rappeuse d’avoir appelé à l’insurrection, elle finit au cachot.

En même temps, une jeune députée hyperactive nommée Raïssa Drama (Hiba El Aflahi) se lève dans l’hémicycle pour dénoncer le traitement réservé à l’artiste. Les deux jeunes femmes ont grandi dans la même cité. Leurs chemins ont divergé, mais dans le studio ou à l’assemblée, elles portent toutes les deux une voix dissidente. 1200 Tours est une pièce sur la jeunesse comme la directrice de l’Union les affectionne tant, même si elle se déroule dans un univers d’adultes. Ce qu’elle raconte, c’est justement une naissance politique, le basculement dans l’action de deux amies d’enfance dont l’une monte à l’hémicycle de l’assemblée nationale pendant que l’autre choit dans les bas-fonds d’une prison pour avoir soi-disant déclenché la révolution.

1200 Tours, Aurélie Van Den Daele © Thierry Laporte
© Thierry Laporte

En faisant jouer à des jeunes actrices les rôles-titre, jusqu’à celui de l’avocate (Coline Kuentz) qui rend visite à la rappeuse, la metteuse en scène rend sensible l’inscription toute fraîche des destins des personnages dans une machine politique, laquelle est résumé assez efficacement à quelques espaces-clé (la rue, le parlement et la prison auxquels s’ajoute une rédaction qui centralise et déforme les histoires — et sera in fine rendue politiquement caduque au profit d’un média distribué de main en main dans l’espace public). C’est de cette distribution que 1200 Tours tire en grande partie sa vitalité, même lorsque le dispositif scénique et son décor un peu rigide et programmatique appesantissent le destin des corps et inhibent le sentiment de présence (une seule scène reléguée à l’entracte, paradoxalement, y remédie) : les interprètes ne trahissent pas le bouillonnement décrit par le texte.

Le texte a été écrit sur un temps long par Sidney Ali Mehelleb, qui joue également. Il a cette façon d’étendre grand le filet au départ pour ensuite tresser des arcs narratifs entremêlés. Restent cependant trop de fils lâches et informes, quelques boucles redondantes, des choses mal nouées et une conclusion qui manque finalement d’un sentiment de clôture dramatique, sans non plus vraiment s’offrir comme un d’appel d’air pour une suite à construire. Malgré les désirs de grande fresque, les trois heures de durée peinent à se justifier complètement, et la pièce gagnerait à être plus concentrée.

1200 Tours a cependant des mérites indéniables : sa générosité, sa façon de mettre en jeu la place de l’artiste dans la cité, ou l’efficacité avec laquelle elle fait dialoguer des espaces qui ne se rencontrent pas et les récits qui vont avec — celui d’une chute judiciaire et celui d’une ascension médiatique. En faisant constamment référence à l’actualité du monde et ses noms (Messi, Arnault, etc.), la pièce finit surtout par faire vivre une sensibilité agitprop que la mise en scène tous azimuts laisse briller dans son impureté artistique en mettant sur le même plateau le théâtre, l’image télévisuelle, les plans de cinéma, le concert de rap ou encore l’infographie de presse. C’est là son courage, et c’est à cet endroit que le théâtre de la généreuse artiste qu’est Aurélie Van Den Daele vibre le plus.


1200 Tours • Cycle 1 de Sidney Ali Mehelleb
Théâtre de l’Union
Du 4 au 9 mars 2024
Durée 3h20 avec entracte

Tournée
Du 20 au 29 mars 2024 TGP – CDN de Saint-Denis
Puis au Méta, Centre Dramatique National de Poitiers
au Théâtre d’Angolême, Scène nationale
à L’Empreinte, scène nationale Brive-Tulle
à L’Onde, Théâtre Centre d’Art, Velizy Villacoublay
à la Comédie de Colmar, Centre Dramatique National d’Alsace
et au Préau, Centre Dramatique National de Normandie, Vire

Mise en scène Aurélie Van Den Daele
Collaboration artistique Mara Bijeljac
Scénoraphie, lumières et vidéo INVIVO Julien Dubuc
Création sonore INVIVO Grégoire Durrande
Costumes Elisabeth Cerqueira
Avec Adelaide Bigot, Grégory Corre, Grégory Fernandes, Coline Kuentz, Julie Le Lagadec, Benicia Makengele, Fatima Soualhia Manet, Adil Mekki, Sidney Ali Mehelleb -fin de distribution en cours-

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