Le Marivaux en blanc de Jacques Vincey

Jacques Vincey adapte joliment L'Île des esclaves de Marivaux.

Prenant comme base L’île des esclaves de Marivaux, Jacques Vincey imagine une fable morale, une comédie de mœurs, où maîtres, domestiques, comédiens et metteur en scène s’interrogent sur leur place dans le monde, sur leurs actions passées et à venir. Une mise en abyme enlevée de nos sociétés et du théâtre. 

La salle plonge dans l’obscurité et dans le silence. Une voix résonne. C’est celle de Jacques Vincey. Il parle de ses choix, de son métier, du pourquoi il était important de monter ce Marivaux peu connu, de confronter son savoir à celui vif, intuitif de la jeune génération. Curieux, il creuse dans ce prologue, de nouvelles idées de mise en scène, d’autres approches du théâtre. Il emprunte certaines pistes, en oublie d’autres. C’est tout un champ des possibles qui s’ouvre aux spectateurs. Les réflexions n’ont qu’un temps, place au théâtre. 

Dans la pénombre, deux silhouettes blanches apparaissent. Ce sont des hommes, un aristocrate d’Athènes et son valet. Suite à un naufrage, ils ont échoué sur les mystérieux rivages ouatés de l’île aux esclaves. Un bien étrange endroit, où tout est inversé. Les maîtres prennent la place de leurs domestiques et inversement. Autant dire que si cette situation réjouit Arlequin, elle met dans tous ses états Iphicrate, son patron. Très vite, ils sont rejoints par la noble et capricieuse Euphrosine ainsi que par sa suivante l’effrontée Cléanthis. Sous le regard doux de Trivelin, maitre des lieux, chacun va devoir se plier aux règles. Amusés, les anciens serviteurs se vengent un temps. Mais très vite, le cœur n’y est plus. Le jeu a ses limites. Pourquoi faire subir aux autres les humiliations, les vexations dont on se plaignait quelques heures auparavant. Forcés à prendre des coups, à supporter les petites mesquineries dont ils avaient le secret, les maîtres prennent consciences de leurs actes et font amende honorable. 

Portée par la langue de Marivaux, subtile, drôle, aiguë, cette fable moraliste qui égratigne les puissants, imbus de leurs petites personnes, la bêtise des coquettes, tout en idéalisant les gens simples, dépasse la simple satire pour esquisser une utopie bienveillante où tous seraient égaux. L’auteur ne prend pas vraiment partie, il laisse chacun face à ses convictions, ses certitudes. 

S’appuyant sur la fougue de la troupe de l’ensemble artistique du T°, jeunes artistes associés un an durant au Centre dramatique national de Tours, et sur la scénographie simple mais très efficace de Mathieu Lorry Dupuy, faite d’une sorte de mousse blanche rappelant l’écume de la mer, Jacques Vincey cisèle une mise en scène qui pointe les ambiguïtés du texte, les différents points de vue abordés, sans rendre caricatural les effets comiques. Tout devient quelque peu maladroit quand pour l’épilogue, les cinq comédiens, qui ont carte blanche, viennent l’un après l’autre s’exprimer, dire leurs pensées sur ce que les écrits de Marivaux ont eu comme impact sur eux. Touchant, drôle, plus que percutant, ce final laisse certes un petit goût d’inachevé, mais donne à l’œuvre une dimension contemporaine plutôt sympathique, une ouverture sur le monde d’aujourd’hui particulière inégalitaire. 

Joliment ficelée malgré quelques effets superflus, cette Île aux esclaves touche juste et interroge sur nos sociétés occidentales qui malgré l’abolition des privilèges et de l’esclavage restent profondément hiérarchisées. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


L’île des esclaves de Marivaux
L’avant-Seine
Théâtre de Colombes
88 Rue Saint-Denis
92700 Colombes
Jusqu’au 14 novembre 2019
Durée 1h30 environ 

Tournée 
le 19 novembre2019 à la MA Scène nationale – Pays de Montbéliard
le 22 novembre 2019 à L’Entracte, Scène conventionnée de Sablé
le 26 novembre2019 au Théâtre de Chartres
le 29 novembre à L’Echaiier – St Agi
du 3 au 5 décembre 2019 au Théâtre de Thouars
du 17 au 20 décembre 2019 au Théâtre-Sénart, Scène nationale (hors les murs)
du 23 au 31 janvier 2020 au Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours
le 12 mars 2020 aux 3 T – Scène conventionnée de Châtellerault
le 19 mars 2020 Théâtre du Cloître – Scène conventionnée de Bellac
du 1er au 3 avril 2020 au Théâtre – Sénart, Scène nationale
le 8 avril 2020 à L’ATAO Orléans
les 4 et 5 mai 2020 à la Scène nationale d’Aubusson

mise en scène de Jacques Vincey
prologue et épilogue de Camille Dagen et Jacques Vincey en collaboration avec les interprètes
avec les comédien·ne·s de l’ensemble artistique du Théâtre Olympia
Blanche Adilon, Thomas Christin, Mikaël Grédé , Charlotte Ngandeu, Diane Pasquet et la voix de Jacques Vincey
collaboration artistique Camille Dagen
Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy 
lumières de Marie-Christine Soma 
costumes de Céline Perrigon
maquillage et perruques de Cécile Kretschmar 
son d’Alexandre Meyer

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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