Shakespeare sous influence

Au théâtre des Italiens, Julie Crégut et Benjamin Dussud content les amours maritales de Shakespeare.

Réinventant la vie maritale du fameux dramaturge anglais, Anca Visdei signe une pièce drôle, touchante sur le pouvoir des muses et sur l’art du poète, qui n’est pas sans rappeler le film de John Madden, Shakespeare in Love. Interprétée avec fougue et espièglerie par Caroline Cristofoli et Teddy Bogaert, cette pure fiction met le cœur à la fête. 

Cheveux blonds foncés, bouclés, regard pétillant, William Shakespeare (lumineux Teddy Bogaert) arrive à Londres. Il a laissé femme et enfants à Stratford pour se consacrer entièrement à l’écriture. Perdu dans la grande ville, assourdi par son bruit, enivré par sa frénésie, il n’arrive à rien. Prenant une feuille de papier, il écrit à sa chère Anne Hataway (épatante Caroline Cristofoli), son épouse, légèrement plus âgée que lui pour qu’elle l’autorise à rentrer au bercail.  

Matrone, femme lettrée amoureuse des mots de son doux mari, elle refuse, le repousse, lui lance un ultimatum. Pour revoir ses enfants et retrouver sa couche, il doit écrire au moins une pièce. C’est d’autant plus facile que les trames de Deux Gentilhomme de Vérone et de La Mégère apprivoisée, ils les ont ébauchés ensemble. Rien n’y fait, le romantique poète n’y arrive pas. Elle le houspille, le dédaigne, le câline, le porte aux nues. Soufflant le chaud et le froid à travers une correspondance épistolaire passionnée, brûlante, dévorante, elle construit le mythe, le grand homme. 

Alors qu’on ne sait que peu de chose sur la vie de Shakespeare et de ses relations avec sa femme, qui sont souvent qualifiées d’houleuses, Anca Visdei brode un scénario digne d’Hollywood. Partant de faits avérés, réels, elle conte une fable fort charmante sur le principe éculé de la femme de l’ombre, l’inspiratrice sans qui le génie ne serait rien. Si la veine n’a rien de surprenante, l’écriture enlevée de l’autrice, son imagination débordante, donne à cette fiction du sel et de la couleur. On aimerait tant que tout soit vrai. 

Avec ingéniosité, Julie Crégut et Benjamin Dussud porte cette histoire d’amour singulière à la scène. L’ancrant dans une intemporalité – costumes contemporains – , ils signent un spectacle qui touche au cœur, émeut autant qu’il fait rire. 

Saisi par la fougue qui étreint à distance les deux tourtereaux, surpris par les amours adultérins du poète avec un beau et influent lord anglais, le public est littéralement sous le charme de deux jeunes comédiens. Passant de la rugosité à la douceur, Caroline Cristofoli est une muse formidable, une diablesse qui sait ce qu’elle veut. Face à elle, jouant les enfants sages rêvant d’émancipation, Teddy Bogaert, l’amant parfait des Idoles de Christophe Honoré, incarne avec fièvre un Shakespeare en devenir.

Laissez-vous tenter par cette jolie bluette, celle qui au-delà de la guimauve réinvente avec espièglerie un mythe.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Avignon


Madame Shakespeare d’Anca Visdei
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre des Italiens 
82 bis, rempart Saint Lazare
84000 Avignon
Jusqu’au 28 juillet 2019 à 13h45 (Relâches 10, 17 et 24 juillet 2019) 
Durée 1h20

Mise en scène de Julie Crégut & Benjamin Dussud
Avec Caroline Cristofoli, Teddy Bogaert
Régie de Maxime Denis

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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