Planète Marseille

Au festival de Marseille, c'est un voyage à travers les danses, les transes, les histoires de chacun qui est proposé.

Des vallées de l’Atlas lointaines aux villages zoulous d’Afrique du Sud, le Festival de Marseille invite à un voyage à travers le monde. Mixant les cultures, les regards, la chorégraphe Adeline Rosenstein avec Laboratoire poison 2 et la chanteuse Hlengiwe Lushaba avec Not another Diva… s’emparent des évènements d’Algérie pour l’une, d’histoires plus intimes, plus féministes pour l’autre. Deux temps forts passionnants, prenants, envoûtants ! 

Décidément, le Festival de Marseille réserve bien de surprises. Après un Boléro de Ravel revisité aux sonorités sud-africaines et un Sacre du Printemps investi par des danseurs amateurs, c’est une plongée dans la guerre d’Algérie, ou plus exactement sur la manière paternaliste, quasi dictatoriale que la France a employé pour maintenir cette colonie sous son emprise, qui nous est proposée. 

Dans la petite salle du théâtre de la Criée, de son accent belge charmant, celui de sa patrie d’adoption, Adeline Rosenstein, artiste allemande francophone, qui a grandi à Genève, explore l’histoire via des archives, des documents souvent oubliés. Après Laboratoire poison 1, elle continue dans un second opus en préparation, dont nous avons pu voir une étape de travail, avant la création l’an prochain, d’exhumer le travail de sociologues dont Jean-Michel Chaumont, dans l’ouvrage Survivre à tout prix : essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes. Creusant tout particulièrement la notion de trahison, en archéologue des comportements humains, elle sort des idées, des attitudes, des postures de leur contexte pour en saisir l’essence anthropologique.

Faisant rejouer à ses danseurs-comédiens, les mêmes scènes, mais les éclairant à chaque fois d’un autre jour, Adeline Rosenstein, avec intelligence, et une belle dose d’humour, interroge les consciences collectives, déconstruit l’histoire officielle et oblige le public à aller au-delà de ses préjugés, de ses acquis. Certes nous assistons à une ébauche, une infime partie de son travail, mais déjà se dessine une manière de faire, une pâte cartoonesque qui attrape, saisit. 

La barbarie, la torture sont là présentes, il n’est pas, ici, question de nier l’horreur mais bien d’en comprendre le fondement. La lâcheté, l’immobilisme, l’impuissance aussi. Sur un plateau dépouillé, les sept artistes interprètent des personnages muets, tour à tour bourreaux, témoins muets ou victimes. Gestes précis, mots inaudibles susurrés, chacun s’adapte à la situation, au milieu hostile dans lequel il est plongé. C’est fort, c’est brillant. Jamais forcé, toujours suggéré, le message passe, puissant. 

Totalement séduit par cette proposition, le public se projette déjà dans l’après, la présentation de l’œuvre terminée déjà au programme de l’édition prochaine du Festival de Marseille 2020

Histoire de se détendre, de rêver à un ailleurs qui swingue, au théâtre de la Sucrière, la soirée se poursuit. Le danseur, chorégraphe et metteur en scène, Faustin Linyekula et la chanteuse-comédienne Hlengiwe Lushaba, convient à un concert dansé en plein air. Derrière les rythmiques soul, jazz, les chants traditionnels zoulous, les deux artistes esquissent le portrait d’une femme, d’une autre diva aux pieds nus, qui malgré les épreuves, les coups du sort, se relève toujours plus forte. Si l’on peut regretter que la chorégraphie soit accessoire malgré le talent fou de la danseuse Johanna Tshabalala, on est totalement conquis par la présence scénique, la voix, le charme de Hlengiwe Lushaba. Elle est le cœur vibrant de cette performance. Passant des rires aux larmes, de récits tristes à d’autres plus joyeux, plus enlevés, elle impulse au corps des spectateurs, le désir irrépressible de se mouvoir, de danser. Près de deux heures durant, la fête bat son plein pour le plus grand plaisir de tous. Une journée marseillaise riche en émotion. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Marseille


Festival de Marseille
Laboratoire poison 2 d’Adeline Rosenstein– étape de création 
Théâtre de la Criée
30, quai de Rive Neuve
13007 Marseille

Conception, écriture et mise en scène d’Adeline Rosenstein 
Assistante à la mise en scène Marie Devroux 
Composition sonore d’Andrea Neumann 
Espace Yvonne Harder 
Éclairage et direction technique de Caspar Langhoff 
Masques de Rita Belova 
Costumes d’Anna Raisson 
 Avec Marie Alié, Marie Devroux, Rémi Faure, Titouan Quittot, Anna Raisson

Not Another Diva…deHlengiwe Lushaba Et Faustin Linyekula
Théâtre de la Sucrière
246, rue de Lyon
Parc François Billoux
13015 Marseille

Conception et direction artistique de Hlengiwe Lushaba et Faustin Linyekula 
Avec Hlengiwe Lushaba (voix), Johanna Tshabalala (danse), Franck Moka (machines), Huguette Tolinga (percussions et voix), Pati Basima (basse), Zing Kapaya (guitare), Heru Shabaka-Ra (trompette) 

Crédit photos © Gregor Brändli et © Serge Gutwirth

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