A table avec Marx et ses affiliés

Au printemps des Comédiens, la compagnie Le Singe de Sylvain Creuzevault invite à plonger dans l'œuvre de Karl Marx.

Revenant avec sa troupe sur le travail amorcé en 2014 sur l’œuvre centrale de Karl Marx, Sylvain Creuzevault invite avec Banquet capital à un grand buffet des idées, véritable creuset des utopies socialistes, des révolutions à venir. Une pièce folle, historique, un écho théâtral vivant à l’actualité. 

Dans la belle pinède aux odeurs entêtantes du domaine d’O, sous un chapiteau bleu, une immense table trône au cœur d’un dispositif tri-frontal. Un homme (épatant Lionel Dray), portant une tenue rappelant celles des boxeurs, y est accoudé. La tête enfouie dans la capuche bleue de son vieux peignoir élimé, il semble endormi, étranger au monde qui l’entoure. Au loin des bruits, des cris, des slogans scandés, c’est une petite troupe de révoltés qui fait son entrée. De (sensible Antoine Cegarra) Baudelaire à (ténébreux Arthur Igual) Blanqui en passant par le frère (vibrant Julien Villa) et la sœur (remarquable Noémie Zurletti) Barbès, tous reviennent de la première manifestation organisée depuis le vote au suffrage universel direct masculin entérinant la  naissance de la deuxième république. 

On est en mai 1848, au club des Amis du peuple, publication révolutionnaire reprenant le titre du journal de Marat, fondée en février de la même année par François-Vincent Raspail. Les idéaux socialistes sont confrontés à la réalité d’une politique molle, consensuelle, d’une société frileuse où chacun ne voit pas au-delà de son propre intérêt. Les discussions vont bon train. Le ton monte. Les hommes et les femmes, députés, simples ouvriers, paysans ou poètes, tous s’expriment, tous donnent leur point de vue. Les débats s’enveniment, mais Raspail, avec son accent du sud tonitruant, veille au grain. Des disputes, des polémiques, oui, mais pas de violences gratuites, pas d’invectives sans raisonnement. Ici, c’est la pensée qui régit tout. 

S’appuyant sur l’œuvre de Karl MarxLe Capital, texte inachevé, édité en 1867, Sylvain Creuzevault donne vie avec fougue et ingéniosité aux discussions endiablées, houleuses qui ont donné naissance à une notion nouvelle, fondamentale, sociale de nos sociétés contemporaines, la valeur du travail. Sonnant le réveil des consciences prolétaires et des grands combats socialistes d’antan. 

Si depuis les mots ont été galvaudés, les pensées perverties, le jeune metteur en scène et ses comédiens, tous excellents, mêlent avec virtuosité passé et présent, réveillent les consciences et donnent aux révoltes d’aujourd’hui la hauteur qui leur manque. 

Eclairé par les facéties hilarantes de Léo-Antonin Lutinier, la gouaille  de Noémie Zurletti et la faconde féroce d’Arthur Igual, pour ne citer qu’eux,Banquet Capital est un morceau de bravoure, une performance uppercut qui force à réfléchir, à repenser ses propres valeurs. Bravo ! 


Banquet capital D’après « Le Capital » de Karl Marx
Printemps des comédiens
Chapiteau – La pinède
Domaine d’O
178, rue de la Carrierasse
34000 Montpellier
Jusqu’au 14 juin 2019 
Durée 1h30 environ

Reprise 
Du 4 au 12 octobre 2019 au TNS, Strasbourg
Du 22 au 30 avril 2020 à la MC93, Bobigny
Le 6 et le 7 mai 2020 au Moulin du Roc – Scène nationale de Niort
Le 9 mai 2020 à l’Empreinte – Scène nationale de Brive
Le 12 mai 2020 à La Fonderie, Le Mans

Mise en scène de Sylvain Creuzevault
Avec Benoit Carré, Antoine Cegarra, Pierre Devérines, Lionel Dray, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Clémence Jeanguillaume, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa et Noémie Zurletti

Crédit Photos © Cie Le Singe

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