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Pauline Bayle, frêle guerrière en cage

Aux Déchargeurs, Pauline Bayle donne sa voix à la pilote américaine Clouée au sol par George Brant.

Les mots impératifs brûlent les poumons, le gosier, les lèvres. Ils s’échappent, incandescents, virulents, du corps mince de Pauline Bayle. En faisant sien, le texte vibrant de George Brant sous la férule ciselée de Gilles David, elle se glisse avec une fougue exaltée dans la peau de ce pilote de chasse, de cette femme « clouée au sol » par la vie, par les hommes, par amour alors qu’elle ne vit, ne respire que dans le bleu du ciel. Prenant, hypnotique !

Les pieds ancrés dans le sol, Pauline Bayle, en tenue kaki de pilote de l’armée de l’air américaine, se tient droite face au public. Visage fermé, cheveux tirés en arrière, elle est prête aux combats, celui contre les terroristes, celui contre ses démons intérieurs. Fille de l’air, elle rêve de l’immensité du bleu du ciel. Elle y a élu domicile. Il n’y a que dans les airs qu’elle est heureuse, quand elle traque les ennemis de sa patrie.

Mais voilà, un soir, dans un bar, une rencontre, tout change. Un jeune garagiste, une nuit torride, un amour naissant, sa vie bascule. Elle est enceinte. Fini les loopings, les accélérations à Mach 3, son corps se déforme. La passion s’installe. Une vie de famille se profile, terrestre, alors que l’horizon s’éloigne. Lentement, la dépression s’installe. Les sentiments ne suffisent pas, elle est en manque d’adrénaline, d’oxygène. La possibilité de reprendre sa place au sein de l’armée la revigore. L’espoir est de courte durée. Les drones ont pris la place des avions de chasse.

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C’est d’un hangar perdu dans le désert à quelques encablures de Las Vegas qu’elle dirige maintenant son appareil. Insidieusement, la mélancolie, l’asthénie, l’abattement gagnent son corps, son âme. Femme forte, elle lutte. Son travail prend le pas sur tout le reste. Sa famille se perd dans les méandres de ses obsessions, dans ce patriotisme si américain. Elle doit être la meilleure, elle doit tuer le plus possible de méchants. La réalité s’est évanouie dans trop de technologie. Plus de discernement, la distance créée par la machine avec le tangible, les êtres de chair et de sang, la font basculer dans un ailleurs virtuel, un monde sans sommeil, sans repos.

Plongeant dans le quotidien de cette pilote, qui a vécu l’horreur de la guerre fictivement réelle, le texte de George Brant, dramaturge américain très mal connu en France, prend aux tripes. Abordant la violence des combats aériens, l’implication de ces êtres humains, qui ont des vies entre leurs mains et ont tendance à se prendre pour des dieux modernes, les traumatismes dus à la déconnexion entre l’acte et le geste, la place des femmes dans un monde d’hommes, ce monologue, cette confession intime saisit, secoue, bouleverse d’autant qu’il prend toute sa force, sa puissance entre les lèvres de Pauline Bayle.

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La jeune comédienne, metteuse en scène qui nous a enchantés l’an passé avec sa version très réussie d’Iliade et de l’Odyssée d’Homère, habite le plateau. Peu de mouvement, elle est comme son personnage littéralement Clouée au sol. Son corps vacille, mais jamais ne tombe. Elle vibre au rythme de ce flot de mots qui s’échappe de sa bouche. Respiration haletante, débit de paroles exaltées qui s’épuise parfois, elle donne corps, chair à ce cri de femme fêlée, abîmée, désespérée, terriblement humaine malgré la volonté de ses chefs de la transformer en machine à tuer.

Si le récit, certes très manichéen, très américain, de cette vie en perdition nous chamboule, nous saisit, c’est aussi qu’aucun artifice ne vient en perturber l’écoute, la vision. La mise en scène de Gilles David est dépouillée, minimaliste. Pas de décor, un éclairage quasi-unique, et pourtant le public est emporté, scotché à son siège totalement ébranlé. Un uppercut, une claque qui révèle le talent d’une actrice hors norme. À voir absolument !

Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore


Aff_clouee au sol_Les déchargeurs-1_@loeildoliv

Clouée au sol de George Brant
Les Déchargeurs
3, rue des déchargeurs
75001 Paris
jusqu’au 3 novembre 2018
du mardi au samedi à 19h30
durée 1h00

Traduction de Dominique Hollier publiée aux éditions L’Avant-Scène Théâtre
Mise en scène de Gilles David
Avec Pauline Bayle
Musique de Julien Fezans
Lumières de Marie-Christine Soma
Décors de Olivier Brichet
Costumes de Bernadette Villard

Crédit photos © iFou et © Marina Raurell pour le pôle média

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