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La Sonate à Kreutzer ou les confessions intimes d’un féminicide

Au Studio Hébertot, Jean-Marc Barr joue les maris assassins, croqués par la plume de Léon Tolstoï.

Qu’est-ce que la femme pour l’homme ? Quel est son rôle, sa place ? Au cœur de la Russie tsariste, Léon Tolstoï questionne cliniquement, crûment, la vie conjugale, ses joies, ses bonheurs, ses affres. Avec délicatesse, fébrilité, Irina Decermić et Jean Marc Barr adaptent cette nouvelle tragique du dramaturge russe qui dissèque les mécanismes menant à la jalousie meurtrière. Tiré d’un fait réel, ce conte moral fait étrangement écho à l’actualité mondiale qui regorge tristement d’actes violents commis envers les femmes.

Le lieu semble abandonné depuis longtemps. Un piano, une méridienne, un vieux guéridon, ont été laissés en l’état par les propriétaires. Tout est calme, trop peut-être. Lentement, quelques vieux fantômes viennent hanter ce salon bourgeois. Dans la pénombre, un couple se fait face. Les yeux dans les yeux, ils s’observent. Amour ou haine qui peut dire ce qui les unit ? Alors que les premières notes de musique – jouée en direct – se font entendre, l’homme stoïque tourne lentement sur lui-même pour montrer qu’il n’a plus rien à cacher. Enfin, des mots sortent de sa bouche. Il est Tolstoï en proie au doute.

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Le dramaturge est inquiet, il s’en confie à sa femme, Sofia, sa première lectrice. Le récit qu’il est en train d’écrire lui semble sulfureux, brut. Il conte l’histoire vraie à peine romancée d’un drame intime, celui d’un homme, d’une femme, d’un couple. Séducteur invétéré, son ténébreux héros cherche la compagne idéale, différente, qui respire la pureté, l’intelligence. Il mettra longtemps pour la trouver. Elle est belle. Il l’épouse. La vie coule paisible. Des enfants, cinq en tout, viennent compléter ce tableau idyllique. Pourtant, le doute s’immisce dans son cœur. Le poison de la jalousie réveille ses angoisses, ses suspicions envers la gent féminine, forcément maligne, diabolique. Incapable de contrôler ses pulsions, il finit par assassiner celle qui lui était si chère.

Ici, pas de vaudeville, pas de boulevard, Léon Tolstoï remonte le fil du temps pour mieux décrypter les tenants et aboutissants de cette tragédie conjugale. De sa plume vive, il creuse jusqu’à l’os les tourments de cet homme, de ce mâle, qui l’ont conduit jusqu’à l’homicide. Libertin, ayant renié sa nature par amour, par sens du devoir, il laisse sa bête intime, son démon familier, reprendre le contrôle de ses pulsions. Il explique avec force détails comment sa nature soupçonneuse envers les femmes a rejailli d’un coup sans qu’il puisse la contrôler. Bien que sans regret, il aimerait qu’on lui pardonne sa folie meurtrière.

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Entremêlant au conte noir du dramaturge russe des extraits tirés du journal intime de Sofia Tolstoï, Irina Decermić et Jean-Marc Barr donnent profondeur et puissance à ce texte âpre, à cette confession d’un féminicide. Si la musique de Beethoven parfaitement interprétée en live par Tijana Milosevic au violon et la très classe Irina Decermić au piano, soulignent l’intensité du drame et permettent de se laisser emporter par cette fameuse Sonate à Kreutzer, véritable déclencheur du drame, la mise en scène gagnerait en force à être légèrement épurée de quelques fioritures, de quelques maniérismes superflus. Les mots de Tolstoï, le jeu incarné de Jean-Marc Barr, tout en tension et nervosité contrôlée, la présence lumineuse de sa partenaire, dont l’accent chantant, réchauffe l’atmosphère un brin fébrile, suffissent à rendre palpable la violence de l’acte. Une réalité qui malheureusement est toujours d’actualité. Le rapport publié par le ministre de l’Intérieur, il y a 3 jours, est plus qu’alarmant avec une hausse de 23,1 % sur les sept premiers mois de l’année, des plaintes pour des agressions à caractères sexistes et sexuelles envers les femmes.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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La sonate à Kreutzer de Léon Tolstoï et Sofia Tolstoï
Studio Hébertot
78 bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
En attente de dates de tournée

Adaptation d’Irina Decermić et Jean Marc Barr
Mise en scène de Goran Susljik
Musique de Ludwig von Beethoven
Avec Jean-Marc Barr, Irina Decermić (comédienne et pianiste) et Tijana Milosevic (violoniste)

Crédit photos © Ludo Leleu

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