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Tarkovski, évocation théâtrale d’un génie du cinéma

Au Théâtre des quartiers d'Ivry, Simon Deletang évoque avec beaucoup de sensibilité la figure emblématique de Tartovski.

Une succession de tableaux d’une rare et intense beauté invite à découvrir Andreï Tarkovski, artiste monstre, martyr du régime soviétique. Loin de signer un « biopic » ou de tenter de comprendre l’esprit complexe du célèbre cinéaste, Simon Delétang, s’appuyant sur les textes recueillis ou rédigés par Julien Gayard, préfère lui rendre un vibrant hommage en soulignant sa singulière personnalité.

Salle plongée dans la pénombre, un faisceau lumineux éclaire un bureau placé sur la scène, côté cour. Une jeune femme, tailleur strict, cheveux tirés à quatre épingles, s’y installe. Elle prend sa respiration et se lance en russe, la langue du poète, de l’artiste, dans un plaidoyer enflammé défendant l’œuvre étonnante et hors norme de Tarkovski. Sans complaisance, elle livre à travers les mots d’Antoine de Baecque un regard lucide sur l’homme et son travail. S’interrogeant sur les étranges symboles que glisse le cinéaste dans ses films, comme ce cheval blanc qui traverse l’écran dans Solaris et dans Nostalghia, ou ce chien qui erre dans la Zone dans Stalker, elle dresse le portrait d’un fou, d’un génie, d’un homme en quête d’un absolu.

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D’un coup, tout s’arrête. Le noir se fait, changement de décor. Les murs du fond de scène s’ouvrent sur une immense chambre, rappelant celle gravée sur la pellicule noir et blanc de Nostalghia. Au centre, un lit où gît un homme sur lequel une bougie est posée. Est-ce une veillée funèbre, un rêve morbide, la fin d’une époque ? Un peu de tout cela.

Convoquant les familiers du cinéaste, les personnages principaux de ses films, les journalistes qui l’ont interviewé, ainsi que son public, Simon Delétang esquisse les contours sinueux d’un homme martyr, que sa mère patrie tant aimée a rejeté, censuré. Encensé par certains, incompris par d’autres, Tarkovski traverse son époque sans s’attacher à un courant, refusant tout conformisme, notamment aux idéaux soviétiques. Il s’installe dès son premier long-métrage, récompensé d’un Lion d’or à la Mostra de Venise, comme l’un des maîtres du Septième art.

S’emparant du texte lyrique, prolixe, de Julien Gaillard, inspiré des œuvres littéraires de Tarkovski, Le Temps scellé et Le Journal, Simon Delétang propose une plongée vertigineuse, bien qu’un brin longue, au cœur de l’esprit tortueux et obsessionnel du cinéaste. Prenant ça et là des bouts de vie, des échanges imaginaires ou réels de l’artiste avec ses congénères, ses parents, des impressions, des sensations, des dialogues tout droit sortis de ses longs-métrages, il signe une évocation délicate, touchante de l’homme aux sept films, de cette icône inclassable de l’art cinématographique.

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Puisant dans l’esthétisme épuré, presque radical, de Tarkovski, le jeune metteur en scène a imaginé chaque partie de son quadriptyque comme autant de tableaux d’une bouleversante beauté – le dialogue entre Tarkovski le mystique et sa femme devant le sublime visage de la Madonne del Prado de Pierro della Francesca est l’un de ces moments de grâce. Jouant sur les ombres et lumières, instillant à chaque image qui se grave dans nos yeux des références à l’œuvre du cinéaste, il rend un hommage sensible à l’artiste apatride. Si parfois Simon Delétang se laisse déborder par la personnalité hors-norme de son sujet, il séduit en mettant un point d’honneur à parler de cinéma sans jamais avoir recours à la vidéo.

Par la magie du théâtre, il met en scène les combats qui animent l’âme de Tarkovki, hantée par la vérité et la fidélité à ses idéaux, mais, à trop privilégier les tons monocordes et lancinants trop similaires à ceux employés par le cinéaste, il a du mal à leur insuffler une incandescente nécessaire pour que l’on sente le feu fiévreux de la création. Malgré des longueurs, quelques baisses de rythme, le jeu tranchant, habité de Stanislas Nordey, la présence scénique poignante d’Hélène Alexandridis et l’extraordinaire, et poétique scénographie, hypnotisent et envoûtent. Un moment de théâtre puissant dont la beauté restera longtemps imprimée dans nos mémoires.

Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore


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Tarkovski, le corps du poète de Julien Gaillard et extraits de textes d’Antoine de Baecque et Andreï Tarkovski
Manufacture des Œillets – Théâtre des quartiers d’Ivry
La Fabrique
1, place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine
jusqu’au 6 mai 2018
durée 2h00

mise en scène, montage de textes et scénographie de Simon Delétang
avec Hélène Alexandridis, Thierry Gibault , Stanislas Nordey, Pauline Panassenko & Jean-Yves Ruf
dramaturgie de Julien Gaillard et Simon Delétang
scénographie et costumes de Léa Gadbois-Lamer
lumières de Sébastien Michaux
son de Nicolas Lespagnol-Rizzi
régie générale et plateau : Nicolas Hénault
production-diffusion : Sébastien Lepotvin

Crédit photos © Jean Louis Fernandez

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