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Mélodie Richard, une Bérénice tout feu tout flamme

Bérénice aime Titus à l'Odéon sous la direction de Célie Pauthe.

Visage de porcelaine un brin mélancolique, Mélodie Richard incarne avec passion et fougue désespérée l’héroïne racinienne aux amours contrariées par les lois immuables de la Rome antique. Incandescente, elle donne corps à la sobre mise en scène de Célie Pauthe, qui malgré tout finit par glisser dans les sables mouvants d’une versification trop appuyée. Un moment de théâtre suspendu, étrange !

Les sables blancs de Judée ont envahi les élégants appartements romains de la trop belle Bérénice (éblouissante Mélodie Richard). Ils ensevelissent lentement meubles et objets, embourbent les sentiments dans les arcanes du pouvoir. D’immenses voilures immaculées et vaporeuses délimitent l’espace et enferment nos trois amants entre passion et raison. Dans la pénombre, un homme couché sur le grand canapé gris, qui sert d’unique décor, émerge de sous une couverture rose. C’est le prince Antiochus (ténébreux Mounir Margoum). Entiché sans espoir de retour de la Reine de Judée dont il est, à son corps défendant, le confident, le guerrier s’apprête à lui révéler ses sentiments avant de prendre de congé d’elle.

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De son côté, l’ingénue Bérénice ne vit que pour unir son âme et son cœur au nouveau seigneur de Rome, le charmant Titus (fébrile Clément Bresson). Si les auspices semblent propices à cet hyménée, les lois de la République latine s’y opposent. Nul descendant(e) de roi ne peut monter sur le trône des Césars. Malgré la passion qui dévore le jeune Empereur, il sacrifie sa bien-aimée à sa propre gloire. Dévastée, la belle souveraine souhaite mettre fin à ses jours. Face à ce suicide imminent, ses deux amants, l’éconduit et l’élu, vont eux aussi mettre leurs vies en balance pour éviter l’impensable, l’intolérable.

S’emparant avec élégance de la plus belle tragédie de Racine, celle des amours impossibles, celle qu’aucune mort sanglante ne vient endeuiller, Célie Pauthe signe une version en demi-teinte qui oscille entre passion brûlante, dévorante et sentimentalisme mièvre, manquant de souffle. Ponctuant chacun des cinq actes par des extraits du court métrage Césarée, réalisé en 1979 par Marguerite Duras, où celle-ci, de sa voix si singulière, évoque sans jamais la nommée le fatal destin de la « Reine des Juifs, répudiée pour raison d’État », la metteuse en scène de quarante ans essaye tant bien que mal de donner corps au texte, mais malgré de belles idées qu’on aurait aimé qu’ elle creuse un peu plus en profondeur, de jolis tableaux, achoppe à lui donner toute sa puissance dramatique, sa force incandescente.

Dans le bel et épuré écrin imaginé par Guillaume Delaveau, souligné par le jeu d’ombres et de lumières créé par Sébastien Michaud, un joyau scintille en mille éclats. Robe verte à la romaine, chevelure brune opulente, Mélodie Richard brûle les planches en livrant une interprétation vibrante et bouleversante qui prend aux tripes. Exaltée, fiévreuse, elle est Bérénice dans sa chair, dans son sang. Face à elle, Mounir Margoum et Clément Bresson font plus pâle figure. Bridés dans leur jeu, scandant avec trop de rigueur chaque rime, chaque césure, ils mettent plus de temps à libérer les émotions qui animent leur personnage. C’est dans la scène finale où tous enfin laissent parler leur âme, leur cœur qu’ils nous attrapent, nous saisissent.

Déroutante, autant que charmante, Cette Bérénice a de quoi séduire sans jamais y arriver tout à fait. On retiendra surtout la prestation exceptionnelle d’une comédienne rare et inspirée, qui en illumine les vers.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Bérénice de Jean Racine
Odéon – théâtre de l’Europe – Les Ateliers Berthier
1, Rue André Suares
75017 Paris
jusqu’au 10 juin 2018
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h – relâches les 13 et 20 mai 2018
Durée 2h15

Mise en scène de Célie Pauthe
Avec Clément Bresson, Marie Fortuit, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard & Hakim Romatif
Extraits du court métrage Cesarée de Marguerite Duras
Collaboration artistique : Denis Loubaton
Scénographie de Guillaume Delaveau
Lumières de Sébastien Michaud
Costumesd’Anaïs Romand
Musique et son d’Aline LousTalot
Vidéo de François Weber
Maquillage et coiffure de Véronique Pflüger
Stagiaire à la mise en scène : Antoine Girard
Traduction hébreu de Nir Ratzkovsky
Répétiteur hébreu : Zohar Wexler

production Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté
Avec le soutien de l’Odéon-théâtre de l’Europe

Crédit photos © Elisabeth Carecchio

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