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La Nuit transfigurée, un pas de deux crépusculaire et abrupt

Anne Teresa de Keersmaeker investit le Théâtre de la Ville avec une nouvelle version très épurée de sa Nuit transfigurée .

Avec austérité, sur un mode minimaliste, Anne Teresa de Keersmaeker revisite, plus de 20 ans après, sa pièce La Nuit transfigurée. Resserrant son propos au plus près des corps, elle signe un ballet déchirant, sombre, épuré, où le poignant sonne un peu trop sec, manquant d’émotion. Touché par ce chassé-croisé quasi charnel des amants maudits, on est malheureusement refroidi par les mouvements trop répétitifs, la sobriété des gestes et la brièveté du moment …

Dans un silence de plomb, sur une scène totalement nue, à peine éclairée d’un unique projecteur, deux corps se cherchent, se découvrent et s’unissent. Inlassablement sous le regard d’une tierce personne, une ombre figée dans la pénombre du plateau, l’homme, vêtu d’un complet sombre, et la femme, portant une robe rose à fleurs, légèrement défraîchie, réitèrent cette course effrénée, passionnelle, cette quête charnelle. Les mouvements sont fluides, les gestes d’une étonnante simplicité, les portées poignants, sensuels. Et pourtant, il se dégage de ce pas de deux des tonalités tragiques, déchirantes. La flamme entre les deux amants semble s’essouffler, s’éteindre un peu plus à chaque nouvelle union de leurs corps. Elle est attirée par l’obscurité, la silhouette noire dissimulée à l’orée de la lumière crépusculaire. Lui s’éloigne, sans retour, sans un regard.

Nuit_transfiguree_Anne_teresa_de_Keersmaeker_4 -©Anne Van Aerschot_@loeildoliv

Après ce long prologue aride et troublant, le trio n’est plus. Elle a choisi. Elle doit reconquérir l’amant perdu et lui avouer dans un cri d’amour qu’il n’est pas le père de l’enfant qu’elle porte. L’instant est terrible, dramatique. L’homme de dos ne semble pas enclin au pardon. Il faudra à la femme toute sa fougue, son abnégation, la force de son amour, pour regagner ce cœur triste.

Alors que les premières notes de la partition de Verklärte Nacht (Nuit Transfigurée) d’Arnold Schoenberg résonnent enfin, salvatrices, sublimes, elle se lance, repentie, dans une danse amoureuse, une parade intense où elle se livre cœur et âme. A nouveau, le couple se forme. Les corps se poursuivent, se fuient, s’étreignent, s’effleurent et s’accouplent. Ils parcourent l’espace passant de l’ombre à la lumière. Ils s’épuisent dans des courses effrénées, dramatiques. Derrière une gestuelle lente, déliée, la passion se terre, se cache. Difficilement, elle se libère, déchirante et fade à la fois.

En épurant excessivement son propos, Anne Teresa de Keersmaeker perd flamme et émotion. Si l’atmosphère crépusculaire – une scène illuminée par un clair de lune artificiel – sublime les corps à corps, les portés à l’élan cassé, les mouvements suspendus, les corps qui se cabrent violemment ou qui se roulent sauvagement par terre, rompent le lyrisme romantique de la musique. Si certains tableaux rappellent les sculptures sensuelles de Rodin, les postures n’en ont pas la rondeur charnelle.

Nuit_transfiguree_Anne_teresa_de_Keersmaeker_12 -©Anne Van Aerschot_@loeildoliv

Si les deux hommes opposent leurs pas guerriers à ceux, enjoués, charmeurs, de la femme, une retenue trop prononcée, des répétitions trop appuyées, empêchent d’être totalement ensorcelé par ce ballet où l’amour ordinaire n’arrive pas à être transcendé. Envoûté par les envolées lyriques de l’œuvre composée par Arnold Schoenberg, on reste malheureusement ancré au sol par cette chorégraphie trop élaguée, trop resserrée… A trop épurer son travail, Anna Teresa De Keersmaeker signe un ballet, certes, esthétique et poétique, mais qui peine à susciter l’émotion.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Nuit_transfiguree_Anne_teresa_de_Keersmaeker_6 -©Anne Van Aerschot_@loeildoliv

La nuit transfigurée d’Anne Teresa De Keersmaeker
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
jusqu’au 15 juin 2016
du lundi au samedi à 20h30
durée 45 minutes

Chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker
musique d’Arnold Schoenberg, Verklärte Nacht, op. 4 par New York Philharmonic dirigé par Pierre Boulez
lumières de Luc Schaltin et d’Anne Teresa De Keersmaeker
costumes de Rosas / Rudy Sabounghi
dramaturgie musicale de Georges-Elie Octors et Alain Franco
dansé en alternance par Samantha van Wissen, Cynthia Loemij, Nordine Benchorf, Igor Shyshko, Mark Lorimer

Crédit photos © Anne Van Aerschot

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