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Le projet Poutine, dans la tête d’un dictateur

Au théâtre des Béliers parisiens, Le Projet Poutine  révèle un face à face sanglant entre une procureure et un président dictateur.

Deux silhouettes longilignes se font face. Elles se jaugent, se rapprochent, s’affrontent. La confrontation est électrique, suffocante. Tout semble opposer ces deux êtres. L’un est l’homme le plus puissant de Russie, l’autre une procureure exilée rêvant de justice et de liberté. Dans ce huis-clos diabolique, chacun manipule l’autre, le pousse dans ses retranchements, espérant trouver la faille, attendant la chute. Grâce à l’écriture synthétique, limpide et sarcastique d’Hugues Leforestier, ce combat, idéologique et pervers, oscille entre portrait au vitriol, procès à charge et analyse d’une réalité politique qui interroge sur les démocraties d’aujourd’hui… Passionnant ! …

Le rideau s’ouvre. Un brouhaha s’élève. Au fond, sur un écran géant, défilent des images de manifestations. Les cris, les gestes, les pancartes, affichent la volonté d’un peuple d’en finir avec la dictature qui les gouverne et les étouffe. Une ombre apparaît. C’est celle d’une femme. Sa silhouette longiligne se détache. Silencieuse, elle avance vers le centre de la pièce, un espace quasi vide. Un grand bureau et une banquette en bois sont les uniques éléments de décor.

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Blonde, les cheveux relevés, élégante, Svetlana (combative et fébrile Nathalie Mann), procureure exilée au fin fond de la Sibérie pour s’être opposée au pouvoir en place, attend, se demandant ce qu’elle fait en ce lieu. Très vite, elle est rejointe par un homme. Stature imposante, démarche spartiate, le président Poutine (froid et séducteur Hugues Leforestier) s’approche par derrière. L’atmosphère se tend. Elle devient suffocante, étouffante. Entre les deux protagonistes, la tension est palpable. Chacun se prépare au combat. Les murs du bureau semblent se resserrer. L’espace devient un ring où tout est permis. Ici pas d’armes en métal, pas de revers du gauche, pas de jeu de mains, juste des mots, des postures politiques, des vérités tronquées, mais aussi des preuves accablantes assénées comme des coups de massue, des images chocs, violentes, montrant l’indicible.

L’homme et la femme s’affrontent. L’un pour l’idée qu’il se fait du pouvoir et de la grandeur d’une nation, l’autre pour son idéal démocratique. L’un froid, calculateur, séducteur, manipulateur, jouant des peurs de son adversaire, l’autre, passionnée, pure, courageuse, refusant tout compromis pour la justice et la liberté. Chacun aime son pays, mais leurs visions sont diamétralement opposées.

Pris par ce ping-pong verbal, violent, intense, le spectateur se laisse emporter par l’écriture ciselée, tranchante d’Hugues Leforestier. Chaque mot est balle qui vient se figer dans le cœur de l’autre. Chaque phrase, une accusation effrayante ou une menace terrible. Rien n’est inventé. Tous les faits sont authentiques, avérés : les meurtres des opposants, la guerre en Tchétchénie, le jeu de dupes avec les oligarques… tout y est, les faits dessinant un portrait sombre, noir, du tyran. Pourtant, derrière ces accusations assassines, un autre visage apparaît. Celui d’un homme d’une rare intelligence, visionnaire, rêvant d’entrer dans la légende russe, et pourquoi pas, mondiale.

Coupable d’avoir fomenté des attentats, des guerres, d’avoir favorisé la corruption, établie au rang de système étatique, l’obscur fonctionnaire, ex-agent du KGB, puis directeur du FSB – même service de renseignement, nouveau nom -, devenu président, questionne nos consciences et notre image de la démocratie. L’Occident n’est-il pas dans l’utopie ? Nos dirigeants ne se jouent-ils pas de nous, nous faisant croire à l’utopie de vivre dans des républiques démocratiques ? La mise en abyme est subtile, parfaitement maîtrisée par Hugues Leforestier. Sarcastique, maniant l’humour noir, l’auteur et comédien utilisent l’actualité pour mieux dénoncer les dérives de la Russie, mais aussi celles de nos pays, ainsi que leur hypocrisie. L’effet est réussi. Le doute nous assaille.

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La force des mots, la violence de la confrontation entre ces deux êtres que tout oppose, sont soulignés par la mise en scène sobre et efficace de Jacques Décombe. Le jeu fougueux, fiévreux, de Nathalie Mann, explose magistralement. Fragile et forte, humaine et implacable, elle insuffle à son personnage une flamme singulière qui vacille parfois, mais jamais ne s’éteint. Sa voix rauque, fêlée, laisse entrevoir l’angoisse qui ronge Svetlana, sans jamais y céder. Face à elle, Hugues Leforestier campe un Poutine étonnant, tour à tour séducteur, glaçant, menaçant et manipulateur. Si parfois l’histoire semble prendre le dessus et la somme d’informations nous submerger, la tension entre les deux comédiens nous happe et nous touche.

Loin des sentiers battus et du théâtre classique, Le Projet Poutine nous pousse à la réflexion sur notre monde, l’état de nos démocraties et sur la vacuité de nos sociétés…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Le projet Poutine d’Hugues Leforestier
Théâtre des Béliers Parisiens
14 bis, rue Sainte Isaure
75018 Paris
jusqu’au 11 juin 2016
Du mercredi au samedi à 19h15 et le dimanche à 17h30
Durée 1h10

Une pièce d’Hugues Leforestier
Mise en scène de Jacques Décombe
Avec Nathalie Mann et Hugues Leforestier

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