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Britannicus, clinique et âpre confrontation familiale

Le Britannicus très contemporain de Stéphane Braunschweig s'invite sous les ors de la Comédie-Française.

Un air glacial souffle sous les ors du Français. Un froid implacable s’immisce derrière les moulures et pénètre dans la salle Richelieu. Dans cette ambiance polaire, les vers de Racine coulent fluides, puis frappent et résonnent durs, cinglants. Perfidie, mensonges et trahisons s’exposent au grand jour. Les liens familiaux brûlent pour partir en fumée. La mère nourricière, calculatrice – impériale Dominique Blanc – voit son cynique et pleutre fils – magistral Laurent stocker – s’enfoncer dans une folie meurtrière et lui échapper à jamais. Clinique, ciselé, conceptuel, le Britannicus de Stéphane Braunschweig manque de chaleur mais s’avère d’un incroyable modernisme… un classique renouvelé.

Devant une haute porte blanche, masquant une salle de réunion contemporaine, froide, sans âme, meublée d’une immense table et une dizaine de chaises mêlant bois clair et structure métallique, deux femmes attendent. Portant costumes noirs, sombres, elles font les cent pas dans l’antichambre du pouvoir, devant les appartements de l’empereur. Cheveux lâchés, gestes nerveux, Agrippine (majestueuse Dominique Blanc) s’inquiète de voir son fils agir impulsivement et s’éloigner de ses bons soins et de ses bons conseils. Elle livre ses pensées les plus secrètes à sa plus fidèle conseillère Albine (impeccable Clotilde de Bayser). Le moment est grave. Néron (fascinant Laurent Stocker), l’usurpateur, vient de faire enlever la trop belle Junie (sensible Georgia Scalliet), promise à son frère adoptif, le beau et légitime Britannicus (solaire Stéphane Varupenne). Cet acte injustifiable et despotique a de quoi alarmer l’impératrice douairière. Il va à l’encontre de sa propre politique, annonce la perte de son influence et présage de sa chute prochaine.

Britannicus_Dominique_Blanc_Comedie_Francaise_©Brigitte_Enguerand_@loeildoliv

Derrière les murs translucides qui vont finir par disparaître dans les cintres, les conseillers s’agitent et se confrontent, les alliances se font et se défont. Dans ce haut lieu du pouvoir, les intrigues de cour font rage et chacun finira par dévoiler son vrai visage : la perfidie pour Narcisse (sibyllin Benjamin Lavernhe), la lâcheté et la faiblesse pour Burrhus (impressionnant Hervé Pierre), la naïveté et la candeur pour Britannicus, la lucidité pour Agrippine et la froide folie pour Néron.

Pour ses premiers pas de metteur en scène et de scénographe dans la maison de Molière, Stéphane Braunschweig transpose la tragédie romaine de Britannicus dans le monde d’aujourd’hui. Pas de toges colorées, pas de pastiches, pas de tiares, ni de trône, mais des costumes sombres, noirs, des portes hautes blanches, une salle de réunion aseptisée où les grands de ce monde qu’ils soient politiques ou économiques se retrouvent pour décider de l’avenir des peuples. Tout est froid, clinique. Rien ne dépasse, tout est cadré. Si au loin on aperçoit des portes dérobées, donnant sur des coulisses qui se dérobent à nos yeux, où les complots s’ourdissent, les coups fatals se donnent en pleine lumière, lors de faces à faces verbaux sanglants. En conceptualisant cette pièce sur le pouvoir, le tout nouveau directeur de l’Odéon – Théâtre de l’Europe signe une critique acerbe et acide de nos sociétés modernes vérolées par les secrets et les manigances de l’ombre. Si l’effet est captivant, l’ensemble reste un peu trop lisse et manque de chaleur et de passion. Tel un diesel, le spectacle gagne en puissance et en force sur la durée. Les premiers vers passés, la rythmique coule, fluide. La langue de Racine, pure et belle, chatouille nos oreilles. Elle devient musique et nous envoûte. Le jeu fascinant de la troupe y est pour beaucoup.

Dominique Blanc, toute jeune sociétaire de 59 ans, est une impériale et sombre Agrippine. Loin de l’image d’hystérie qui colle au personnage, elle campe une mère lucide, douce, blessée dans son orgueil et prête à tout pour sauver les derniers feux de son influence passée. Habile, fine politique, elle prévoit sa chute et la tyrannie naissante dans les entrailles de son fils. Face à elle, Laurent Stocker est un Néron magistral. Blond, regard perdu, visage presque enfantin, il instille à son personnage une ambiguïté rare capable des empressements les plus caressants avec sa mère, les plus emportés avec Junie et les plus cyniques avec son frère putatif Britannicus. Jouant des silences lourds, pesants, le comédien fascine.

Britannicus_Laurent_Stocker_Comedie_Francaise_©Brigitte_Enguerand_@loeildoliv

Belle, fragile, lumineuse, Georgia Scalliet irradie la scène de la Comédie Française. Chacune de ses apparitions est empreinte d’élégance et de tragédie. Figure dramatique, elle porte en elle le malheur, la passion dévorante et le deuil. En amoureux naïf, aveugle, Stéphane Varupenne est d’une incroyable sincérité. Bien que ce nom soit le titre de la pièce, le rôle est fade, presque ingrat. Le jeune comédien a su trouver sa partition en donnant à Britannicus une dimension de romantique maudit. Citons dans les seconds rôles, Benjamin Lavernhe qui interprète avec malice le fourbe Narcisse. Hervé Pierre est un Burrhus trouble et hagard parfait. Clotilde de Bayser est une digne et grave Albine.

Pris dans les rets de ce thriller antique si contemporain, le public se laisse emporté par ces intrigues de palais qui n’ont rien à envier aux séries politiques d’aujourd’hui – House of Cards, Borgen, Madam Secretary, etc. Britannicus cru 2016 séduit donc et Dominique Blanc, une nouvelle fois, charme et ensorcelle… Jubilatoire !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Aff_britannicus_Comedie_francaise_Racine_@loeildoliv

Britannicus de Jean Racine
Comédie-Française – salle Richelieu
1, place Colette
75001 Paris
du 7 mai 2016 au 23 juillet 2016
durée : 2h00

Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig assisté de Laurence Kélépikis
Avec Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe, Dominique Blanc et les Élèves-comédiens Théo Comby Lemaitre, Hugues Duchêne et Laurent Robert
Costumes de Thibault Vancraenenbrœck
Lumières de Marion Hewlett
Son de Xavier Jacquot
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Maquillages : Karine Guillem

Crédit photos © Brigitte Enguérand

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